Troisième vague du baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale

Les effets cumulatifs de l’inflation détériorent les conditions de vie des ménages et engendrent de fortes inquiétudes pour l’avenir

Publié le | Temps de lecture : 7 minutes

Troisième vague du baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale

Le CNLE publie la synthèse de la 3e vague de son baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale (BaPE) couvrant la période juillet-octobre 2023 et les premiers résultats de la 4e vague (hiver 2023-2024). Cet instrument de vigilance sociale identifie de nouvelles difficultés rencontrées par les publics accompagnés par un réseau diversifié d’acteurs de terrain. Il a également pour objectif de saisir les phénomènes et difficultés émergents de la vie quotidienne et sociale.
 

La synthèse du BaPE consacre une part importante aux conséquences de l’inflation qui s’étendent à une population plus large et sur toutes les dimensions des conditions de vie des publics accompagnés.

Points de vigilance :

  • Précarisation des personnes âgées, avec des retraites insuffisantes, une augmentation des expulsions locatives et des demandes d’hébergement social, des difficultés de prise en charge par les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de personnes en perte d’autonomie ne pouvant accéder à des EHPAD, des difficultés d’accès aux soins et d’utilisation des outils numériques pour recourir aux droits. 
  • Fragilisation de personnes non éligibles aux aides sociales malgré leurs besoins, en particulier des travailleurs aux revenus modestes …. Hausse du recours au crédit renouvelable pour faire face aux dépenses imprévues, voire aux dépenses ordinaires. 
  • Des publics jeunes en déshérence. Une augmentation de cette population jeune sans logement. Des mineurs non accompagnés (dont la minorité n’est pas reconnue), des jeunes sortant de l’aide sociale à l'enfance (ASE) ou des étudiants se heurtant à la saturation des services, pour qui l’absence de prise en charge entraîne à la longue une dégradation de la santé physique et psychique.
  • Des publics ayant des besoins spécifiques, mal repérés, mal pris en compte par les politiques publiques (victimes de leur orientation sexuelle et de discriminations, en proie notamment à des violences familiales).

Des grandes tendances se dégagent des remontées de terrain : les conséquences de l’inflation s’étendent à une plus large population allant des personnes précarisées (bénéficiaires de minima sociaux, personnes sans emploi) ou en situation instable (contrats temporaires) à celles disposant de ressources modestes (faibles retraites, rémunérations peu supérieures au Smic, agriculteurs…). Les difficultés liées au logement et à la santé persistent, ainsi que les complications pour accéder aux droits qui restent un problème central, d’une vague à l’autre du BaPE. Les acteurs sont par ailleurs nombreux à souligner une précarisation de leurs publics, avec le sentiment d’absence de solution pour une partie grandissante des publics, du fait d’une inadaptation des réponses de droit commun à diverses problématiques émergentes.

Quelques acteurs interrogés notent toutefois une relative amélioration dans l’accès aux droits, permise par la diffusion de l’information, notamment grâce à une plus grande visibilité des structures en général, et des Maisons France service en particulier.


L’augmentation des difficultés dues à l’inflation renforce les inquiétudes

Au-delà des difficultés croissantes en termes de pouvoir d’achat ou de baisse du niveau de vie d’un grand nombre de publics, c’est un sentiment de déclassement, d’inquiétudes pour l’avenir et une impossibilité à faire face au moindre incident de la vie qui ressortent des remontées du baromètre. Plusieurs acteurs relèvent notamment les problèmes de mobilité limitant l’accès aux parcours de formation et l’accès aux soins. Sont signalées aussi des situations de fichage, parfois suite à des indus ou à des retards de paiement de prestations/allocations et plus généralement un risque accru de surendettement pour faire face aux imprévus et même aux dépenses de la vie courante. À l’entrée de l’hiver, les travailleurs, y compris parmi les couples en CDI, sont davantage concernés, ce qui témoigne du difficile accès à un emploi de qualité.

Les difficultés à trouver un logement accessible ou à s’y maintenir perdurent 

Le manque d’offre abordable contraint très fortement l’accès au logement et les inquiétudes sont croissantes quant aux probabilités d’expulsion de certains locataires fragilisés par l’inflation. Les raisons qui obligent à quitter son domicile concernent désormais des publics diversifiés, y compris en emploi ou des personnes âgées. Pour les acteurs, une hausse à venir du nombre d’expulsions locatives semble possible. Des solutions « d’attente » qui se réduisent en région parisienne, en lien avec les Jeux olympiques.

Des publics confrontés à des difficultés d’accès aux droits persistantes

Les contraintes d’usage du numérique, ou liées à sa complexité pour réaliser des démarches administratives ou contacter les administrations, s’enracinent et génèrent des tensions déjà relevées lors des vagues précédentes. Les problématiques variées touchent une grande diversité de publics : allongement des délais de traitement des dossiers mais aussi difficulté pour la conservation des pièces et des dossiers pour les personnes en habitat précaire ou encore pour l’accès aux services de personnes âgées ou isolées, en particulier en milieu rural. Les remontées du début de l’hiver mettent l’accent sur l’inadéquation croissante entre conditions d’éligibilité aux aides et besoins et sur les conséquences pour les ménages déjà fragiles des suspensions de droits ou recouvrements d’indus.

Les problèmes de santé notamment liées à des troubles psychologiques augmentent 

Les difficultés de santé sont aggravées par un manque de prise en charge, résultat d’une forte augmentation des publics et d’une diminution du nombre de structures adaptées et de professionnels de santé. Certains acteurs mentionnent une hausse de la représentation des publics avec des problèmes psychiques ou d’addiction dans les structures d’hébergement. D’autres soulignent l’absence de solutions pour certaines populations et les problématiques de santé mentale chez les jeunes, avec pour conséquence, une forte hausse des dossiers de demande d’allocation adultes handicapés (AAH) ou de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Il est également observé un allongement de la durée des parcours de soins. La situation des personnes vieillissantes en perte d’autonomie confrontées à un difficile accès aux soins et aux EHPAD apparaît singulièrement problématique cet hiver.

La précarité augmente et prend un caractère multidimensionnel

Aux difficultés budgétaires des ménages s’ajoutent des complications familiales et de parentalité, ainsi que des problématiques de santé aggravées par le manque d’offres, ou encore des obstacles à la mobilité en milieu rural. L’absence de solutions proposées aux personnes accompagnées, notamment dans l’hébergement, la pression sur l’aide alimentaire et la diminution de la prise en charge sont des phénomènes qui s’amplifient, selon les acteurs répondants. On peut noter une augmentation du public dans les structures accueillant les plus vulnérables et la précarisation croissante de jeunes sans logement (en particulier des étudiants étrangers sans droits), de femmes victimes de violence, ou de salariés en arrêt de travail notamment. Une hausse de la précarité parmi les ménages jusque-là relativement épargnés est également observée. Sont pointés le cas de salariés contraints de rester en emploi ou à la démission malgré des situations de dépression, voire d’inaptitude. Certains acteurs soulignent une augmentation des personnes vieillissantes à la rue parfois en perte d’autonomie, conduites dans des structures d’urgence, déjà sous pression. Les premières remontées de la vague 4 indiquent une nouvelle aggravation de la situation et une paupérisation du monde agricole.

Les acteurs expriment des difficultés croissantes dans l’exercice de leur profession

Plus encore que lors des vagues précédentes, un certain nombre d’acteurs témoignent de difficultés croissantes dans l’exercice de leur profession, les interrogeant parfois sur leur capacité à continuer à exercer leurs missions. La hausse des publics qu’ils accompagnent, la baisse des moyens des institutions, parfois l’absence de solution à proposer et des difficultés de recrutements sont autant d’aspects qui peuvent dans certains cas compliquer leur capacité à faire lien avec les personnes. L’incapacité à répondre aux demandes d’aide alimentaire, d’hébergement, d’aides d’urgence ou de soins les inquiètent pour le long terme. Les acteurs décrivent une diminution de la confiance dans les institutions et administrations, et une aggravation des crispations dans la société, laissant craindre une invisibilisation de certains publics et une détérioration de la cohésion sociale.

Le bureau d’études VizGet, dont la directrice est Mme Christine Olm, a été sélectionné pour conduire l’étude de faisabilité, puis la mise en place et le suivi du baromètre qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale du CNLE.

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La saisine du Premier ministre

En janvier 2021, le CNLE a été missionné par le Premier ministre pour contribuer à l’amélioration de la connaissance qualitative de la pauvreté en France. Cette demande a été formulée dans un contexte où la brutalité des évolutions pressenties, puis constatées lors de la pandémie, réclamait la mise en place rapide d’un outil d’observation sociale réalisée au plus près du terrain pour en saisir toutes les facettes.


Contact CNLE

Chimène Mandrin
Tél. : 07 63 18 64 59
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