Intervention de Jean-Christophe Combe lors du comité de coordination pour l’accès aux droits

Lundi 30 janvier 2023

Publié le | Temps de lecture : 11 minutes

Intervention de Jean-Christophe Combe lors du comité de coordination pour l’accès aux droits

Intervention de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, le 30 janvier 2023 lors comité de coordination pour l’accès aux droits (COCOAD).

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les ministres, chers collègues, chère Sylvie, cher Olivier,
Madame la députée Le Nabour- Cloarec, chère Christine,
Madame la présidente de la caisse nationale des allocations familiales, chère Isabelle,
Mesdames et Messieurs qui avez répondu présents à l’invitation que je vous ai faite il y a quelques jours de joindre nos forces dans la lutte contre tous les non-recours,

Je suis heureux et fier d’installer aujourd’hui avec vous tous le comité de coordination pour l’accès aux droits.

Grâce à la recherche, grâce à la statistique publique, grâce aux travaux conduits aussi par nos grands partenaires associatifs, nous savons désormais mieux mesurer l’ampleur du phénomène de non-recours.

Et le constat est clair. Quelle que soit la prestation que l’on considère, c’est toujours beaucoup, beaucoup trop de Français qui ne sollicitent pas les aides auxquelles ils ont droit.  

C’est 34 % des bénéficiaires potentiels du RSA qui n’y recourent pas, le chiffre est bien connu.

Mais ils sont aussi très nombreux à ne pas recourir au chèque énergie, alors que 10 millions de Français sont pourtant en situation de précarité énergétique.

Et les Français sont également nombreux à ne pas encore savoir que depuis le 1er janvier, nous avons généralisé le service public des pensions alimentaires.

Ni que nous consacrerons désormais près d’un milliard d’euros chaque année pour augmenter de 50 % la pension alimentaire minimale.

Ce non-recours aux prestations et aux droits sociaux, qui aggrave le sentiment de « galère » que tant de Français vivent au quotidien, et parfois fait basculer vers la précarité et des drames individuels, il ne vient évidemment pas d’une quelconque défaillance ou négligence de la part des personnes qui le vivent.

J’y vois plutôt le signe d’un triple échec collectif, qui justifie que les pouvoirs publics et avec eux toute la société unissent leurs forces pour le combattre.

  • Le non-recours, c’est d’abord le signe d’un échec de l’organisation de nos politiques sociales, quelque part entre leur conception et leur dernier kilomètre. Autant que la fraude, il mine la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans nos institutions et dans notre réelle volonté de lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion.
  • Le non-recours, c’est aussi le signe d’un échec de notre politique économique, puisqu’il entrave l’action des « stabilisateurs automatiques », ce filet de sécurité si important pour soutenir notre économie tout entière en période de crise.
  • Le non-recours, c’est enfin un échec pour nos finances publiques, puisqu’il enferme les personnes dans la précarité et l’exclusion, et en cela accroît à long terme le coût pour la collectivité des politiques de solidarités.

C’est pour toutes ces raisons que ce Gouvernement ne se satisfera pas qu’un citoyen sur trois renonce à faire valoir ses droits.

Et c’est pourquoi j’ai fait de la lutte contre le non-recours une des priorités des prochaines années en matière de politique de solidarités.

Une priorité qui traversera l’ensemble du Pacte des solidarités dont je cordonne la préparation, en lien avec mes collègues concernés au Gouvernement, les collectivités locales à commencer par les départements, et plus généralement tous les acteurs de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Bien sûr, en matière de lutte contre le non recours, nous ne partons pas d’une page blanche. Je tiens donc à ce stade à rappeler et à saluer les efforts importants qui ont déjà été déployés.

  • Je pense, par exemple, à la mise en place d’un accueil social inconditionnel à moins de 30 minutes, sur l’ensemble du territoire dans le cadre des contrats signés avec les Départements. Et aux maisons France Service, dont le déploiement est aujourd’hui porté par Stanislas Guérini en tant que ministre de la Transformation et de la Fonction publique ;
  • Je pense également à la question de la domiciliation, prérequis pour permettre à nos concitoyens les plus précaires de demander les prestations auxquelles ils ont droit ;
  • Je pourrais aussi citer l’attribution automatique de la CSS pour les bénéficiaires du RSA ;
  • Et comment ne pas mentionner ici, à la CAF de Paris, les rendez-vous des droits mis en œuvre par les caisses d’allocations familiales, qui permettent un accompagnement humain et personnalisé et ont démontré leur efficacité.

Autant de preuves que non seulement le constat est posé et partagé, mais aussi que la volonté d’agir est là.

Ce que je vous propose, avec l’installation du COCOAD, c’est d’unir et de coordonner nos efforts, passer ensemble à la vitesse supérieure et faire baisser significativement et durablement le non recours aux prestations sociales.

Le COCOAD sera d’abord le lieu de la construction et du suivi du chantier de la solidarité à la source.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il s’agit là d’une réforme ambitieuse, qui se déploiera en plusieurs étapes tout au long du quinquennat.

La première de ces étapes, à partir du second semestre 2024, consistera à simplifier massivement les démarches administratives pour bénéficier des prestations de solidarité : le RSA et la prime d’activité dans un premier temps.

L’objectif est de s’inspirer de la logique de la déclaration fiscale préremplie, pour en finir autant que possible avec les chiffres à chercher et les justificatifs à rassembler.

Les formulaires de demande et de renouvellement du RSA et de la prime d’activité seront pré renseignés à partir des informations déclarées par les entreprises, et les allocataires n’auront plus qu’à les valider.

Par le préremplissage des formulaires de demande et de renouvellement, je compte également prévenir les indus et lutter contre la fraude.

Les indus, ce sont concrètement ces situations dramatiques où l’on demande à des allocataires de rembourser tout ou partie de leurs prestations, car leurs ressources ont dans un premier temps été, de bonne foi, mal déclarées. Pour près de 10 % des Français, c’est même cette peur de subir des conséquences négatives qui est à l’origine du phénomène de non recours.

Et en matière de fraude, cette réforme permettra sans aucun doute de lutter contre les fausses représentations qui circulent régulièrement sur ce sujet, mais aussi de participer activement à son éradication définitive, ce fléau de la confiance contre lequel nous devons sans relâche innover.

Enfin, grâce à la mise en commun des données de revenus dont disposent les différentes caisses et administrations, des travaux d’exploration de données pourront être menés.

Comme la CNAF va nous l’expliquer au cours de la réunion, les personnes potentiellement éligibles mais non recourantes pourront être identifiées, puis contactées et invitées à faire valoir leurs droits.

Par-là, je veux lutter contre le sentiment de stigmatisation que vivent les potentiels allocataires lorsqu’ils doivent se rendre à un guichet pour demander une aide, et démontrer que le data mining et l’intelligence artificielle peuvent et doivent être nos alliés dans la lutte collective contre la pauvreté.

La seconde étape de la solidarité à la source consiste à repenser les paramètres de nos prestations de solidarités, pour en harmoniser les bases ressources.

Notre objectif est de rendre notre système de solidarité plus lisible, pour que nos concitoyens comprennent mieux son fonctionnement.

Ce sera notamment l’occasion de garantir que le travail paye toujours significativement mieux que l’inactivité.

L’équilibre des droits et des devoirs est quelque chose de sensible, de fragile, que nous devons régulièrement réinterroger : là aussi c’est une question de confiance.

Je veux le souligner : cette deuxième étape de la solidarité à la source est extrêmement ambitieuse, complexe et délicate à mettre en œuvre, comme l’a montré l’expérience de l’universal credit au Royaume-Uni.

C’est pourquoi, nous devrons concilier résolution et prudence pour la mise en œuvre de cette réforme, véritable chantier pour l’ensemble de la mandature.

Mais la réforme de la solidarité à la source n’est pas notre seule arme dans la bataille pour l’accès aux droits.

Car si elle nous permettra d’aller chercher les personnes déjà connues de la sphère publique ou déjà familière des outils numériques, notre lutte contre le non recours ne doit laisser personne de côté. En effet :

  • Tout d’abord, les expériences étrangères, mais aussi les rapports du Défenseur des droits encore tout récemment, nous rappellent qu’il faut prendre garde à l’apparition d’une nouvelle forme de non-recours liée à la fracture numérique ;
  • Ensuite, une part importante du non recours, qu’il est difficile de mesurer, est le fait de personnes qui ne sont pas connues des administrations et donc non enregistrées dans les bases de données qui alimenteront la solidarité à la source ;
  • Enfin, et je pense que vous en conviendrez tous, la lutte contre le non recours ne peut se faire sans accompagnement humain. Les algorithmes les plus performants pour repérer les non recourants potentiels, ne nous dispenseront pas par la suite de devoir contacter ces personnes ni de les accompagner dans le processus d’accès à leurs droits.

C’est pourquoi, en complément et sans attendre, je souhaite porter des actions de proximité pour l’accès aux droits, fondées sur la mobilisation des acteurs locaux. C’est le sens de l’expérimentation « Territoires zéro non recours » qui sera suivie elle aussi dans le cadre du COCOAD.

Cette expérimentation, prévue dans la loi 3DS grâce à votre amendement, chère Christine, se déploiera dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt que nous publierons dans les prochaines semaines, dès que le COCOAD aura pu l’examiner et l’améliorer.

Il s’inspirera bien sûr de ce qui se fait déjà depuis plusieurs années dans des territoires pionniers – à Paris, à Vénissieux, ou à Bastia, dont je remercie les représentants qui sont présents aujourd’hui avec nous en visio-conférence.

Concrètement, cela se traduira par un engagement résolu et coordonné de tous les acteurs locaux (collectivités, associations, organismes de sécurité sociale) au service du combat pour l’accès aux droits grâce à des actions hors les murs, une meilleure information du public et la détection des publics fragiles.

Encore une fois, je n’ai pas la prétention de partir d’une page blanche, car je sais que des actions innovantes sont déjà menées chaque jour dans les territoires et je veux justement que nous puissions nous en inspirer et permettre de diffuser les meilleures pratiques.

En déplacement à Vénissieux le mois dernier, j’ai été impressionné par le travail colossal abattu par les différents acteurs locaux de l’accès aux droits qui se mobilisent chaque jour pour aider les personnes à sortir de la pauvreté ou à ne pas y tomber.

Je suis persuadé que ce travail de fourmi, souvent trop peu visible – je pense en particulier aux derniers relais d’information et de confiance : les gardiens des grands ensembles, la pharmacienne – et indispensable pour obtenir les meilleurs résultats pour les familles en termes de droits restaurés et d’aides enfin touchées.

Je ne peux que souhaiter que ce type de démarches inspire beaucoup d’autres volontaires lorsque nous lancerons notre appel à candidatures « Territoires zéro non-recours » au mois de mars, pour de premières réalisations au service des plus modestes dès ce printemps.

Enfin et au-delà du suivi de la solidarité à la source et des Territoires zéro non-recours, je vous propose que le COCOAD soit le lieu où l’on pense et travaille à l’amélioration continue de tous les instruments des politiques sociales vers un meilleur accès aux droits.

C’est ainsi dans ce cadre qu’il nous faudra renforcer la connaissance que nos concitoyens ont de notre système de solidarités.

Le manque de connaissance des prestations de solidarités est une cause connue de non recours et les travaux de la Drees nous montrent que les Français ont une connaissance très variable des prestations.

Deux chiffres à titre d’exemple :

  • Seulement 62 % d’entre eux avaient une connaissance du dispositif de minimum vieillesse en 2020 ;
  • Et seuls 39 % ont une connaissance précise du RSA.

Il faut donc faire en sorte que notre système soit mieux connu de tous et plus facile d’usage :

  • Avec plus de communication à destination du grand public ;
  • Avec des simulateurs permettant à tout un chacun de tester son éligibilité à un vaste ensemble de prestations ;
  • Avec des parcours-usagers plus fluides, mieux adaptés, plus attentionnés, mieux articulés.

Trois idées, que je verse au débat comme autant de pistes de travail à explorer en COCOAD dans les prochains mois :

  • Le portail national des droits sociaux : comment pouvons-nous le renforcer, lui donner plus de visibilité, pour atteindre un nombre plus large de nos concitoyens, pour en faire demain l’espace non seulement de la simulation du droit mais aussi de sa demande ?
  • Les travailleurs indépendants et les « slasheurs » qui sont de plus en plus nombreux à cumuler des temps partiels : savons-nous bien répondre à leurs défis dans l’accès à leurs droits, qui ne sont pas toujours les mêmes et pas moins complexes que ceux des salariés en temps complet ? 
  • La relation de service entre les citoyens et les institutions : avons-nous atteint le bon équilibre entre les différentes offres d’accueil - accueil numérique, accueil téléphonique, accueil humain ? ou devons-nous à l’inverse corriger le tir sur ce sujet ?

Trois idées que je vous invite bien sûr, chers membres du COCOAD, à compléter de toutes celles qu’il vous semblera opportun de soumettre à la réflexion collective.

***

Mesdames et messieurs, l’ensemble des pistes et projets que j’ai évoqués dans cette prise de parole seront pilotées par le ministère dont j’ai la responsabilité, avec les administrations présentes aujourd’hui autour de cette table.

Mais je souhaite bien sûr que ces réformes soient aussi construites avec vous, acteurs de terrain et avec les personnes concernées.

C’est pourquoi j’ai souhaité constituer ce comité de coordination pour l’accès aux droits.

Je vous remercie chaleureusement d’avoir accepté de le rejoindre, et je me réjouis d’inaugurer avec vous aujourd’hui le lancement de ses travaux.

Je vous remercie de votre attention.

Photo : Ministères sociaux / DICOM / Gabrielle Cézard / Sipa