Discours de Fadila Khattabi | Présentation de la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances

Lundi 25 mars 2024

Publié le | Temps de lecture : 11 minutes

Seul le prononcé fait foi

Mesdames les députées [Annie VIDAL, Laurence CRISTOL],
Mesdames et Messieurs les élus locaux, 
Madame la Défenseure des Droits, qui est représentée par Madame la ministre George PAU-LANGEVIN, 
Madame la Procureure de Paris [Laure BECCUAU], 
Monsieur le Président de la Haute Autorité de Santé [Pr. Lionel COLLET], 
Monsieur le Président du CNCPH [Jérémie BOROY],
Madame la Secrétaire Générale [Céline POULET], 
Monsieur le Président du Haut-Conseil du Travail social [Mathieu KLEIN], 
Monsieur le Président de la Conférence nationale de Santé [Pr. Emmanuel RUSCH], 
Mesdames et Messieurs les représentants institutionnels, associatifs, personnalités qualifiées, professionnels de santé et du médicosocial,

Je salue également les membres des différentes administrations présentes, 
Mesdames et Messieurs, chers amis, 

Je suis heureuse de vous accueillir aujourd’hui au ministère, même si le sujet qui nous rassemble est grave, et soulève des questions difficiles. 

Heureuse oui, car vous voir tous ici réunis personnifie, de manière très concrète, notre stratégie nationale de lutte contre les maltraitances, que j’ai l’honneur de présenter officiellement ce matin. 
Je tenais à le souligner d’emblée, et à rendre hommage à votre engagement. 
Cette stratégie, c’est bien la vôtre !

Elle est le fruit d’un travail collectif, de fond et de longue haleine, auquel vous avez tous apporté vos expertises et regards complémentaires, notamment dans le cadre des Etats Généraux, conduits entre mars et juillet et présentés en octobre 2023. 

Tout cela, je tiens à le rappeler, n’aurait jamais pu se faire sans l’énergie formidable de l’ensemble d’un écosystème engagé : parlementaires, élus locaux, personnes concernées, instances, associations, administrations au premier rangs desquelles la DGCS et les ARS… sur qui je sais que je peux toujours m’appuyer.
Alors du fond du cœur : bravo et merci. 

Merci pour cette première étape, car il s’agit désormais de continuer de mettre la force de notre intelligence collective au service du déploiement de cette stratégie, que j’envisage, avant tout, comme une mobilisation générale, qui doit se poursuivre et s’amplifier. 

Je voudrais également, bien sûr, avoir un mot pour mes prédécesseurs. Je pense à Adrien TAQUET, Jean-Christophe COMBE, Geneviève DARRIEUSECQ et Aurore BERGE, qui ont œuvré, avec conviction et détermination, à la réalisation de cette stratégie et au service de nos concitoyens les plus vulnérables. 

Sans oublier Alice CASAGRANDE, cheville ouvrière depuis le premier jour. Chère Alice, vous avez toujours su être une fédératrice des bonnes volontés et un catalyseur des changements ! 

***

Mesdames et Messieurs : “Le destin des plus vulnérables souligne la distance qui nous sépare de ce que l'on pourrait appeler la « civilisation ».” 

Je crois que cet adage du philosophe Noam CHOMSKY résonne tout particulièrement en France, pays de la fraternité et des droits universels, quand on voit l’émoi légitime qu’ont provoqué les scandales liés à des faits avérés de maltraitances dans certains établissements pour personnes âgées ou handicapées dépendantes.

Il faut le dire, nous avons tous été marqués par l’affaire « Orpéa » ou par les images, difficilement soutenables, qu’ont pu exposer au grand public certains documentaires. 

Car oui - sans jeter l’opprobre sur les établissements en général, ou sur les personnels qui y exercent et qui, dans leur immense majorité, font un travail remarquable - ce que nous avons pu voir dans les médias, ce sont des situations réelles. 
Minoritaires certes, mais bien réelles, face auxquelles, et je reprends là le mot d’ordre des Etats généraux des maltraitances, nous ne devons pas « détourner le regard », et qui ne doivent jamais cesser de nous révolter. 
Car oui, Mesdames et Messieurs, face à ces abus inacceptables, comme devant les situations de négligence et de mauvais traitements que subissent certains de nos concitoyens les plus vulnérables, du fait de leur âge mais aussi de leur handicap ou de leur précarité, il y a de saines révoltes. 

C’est pour cela que le Gouvernement a immédiatement réagi, en lançant, dès 2022, une série de mesures d’application immédiate, en particulier une inspection systématique des EHPAD.

Tout comme il a enclenché ce travail de fond, que j’ai mentionné en introduction, avec l’ensemble des parties prenantes. 
Nous avons également saisi la Conférence nationale de santé (CNS), la Haute autorité de santé (HAS), le Haut conseil de la santé publique (HCSP), et mobilisé le Conseil national de l’information statistique (CNIS), avec la création d’un groupe de travail spécifique, pour objectiver le phénomène et proposer des mesures structurelles. 

L’ensemble de ces démarches nous a permis de fonder cette nouvelle stratégie nationale de lutte contre les maltraitances, dont les cinq axes comportent des mesures concrètes pour améliorer, sur le long terme, les mécanismes et les pratiques de prévention, de repérage et d’accompagnement des adultes vulnérables victimes de maltraitances.

Les outils que nous mettons en place s’adressent aussi bien aux personnes elles-mêmes, pour renforcer leur pouvoir d’agir face aux situations de maltraitances, qu’à l’ensemble des professionnels et structures en contact avec elles : les travailleurs sociaux et établissements, mais aussi les forces de l’ordre ou les mandataires judiciaires, par exemple. 

Cette stratégie s’inscrit également dans le cadre plus large d’une mobilisation nationale, interministérielle, des territoires au plus haut niveau de l’Etat, avec une véritable ambition de société pour tous les publics vulnérables. 

Pour illustrer mes propos : Je pense à la proposition de loi pour le « Bien Vieillir », initiée par les parlementaires, et dont je salue les deux Rapporteures ici présentes, mais aussi à la loi dite « Taquet » de février 2022, qui prévoit des mesures spécifiques pour les enfants, sans oublier les nombreux engagements de la Conférence nationale du handicap et du Grenelle des violences faites aux femmes. 
Cette stratégie vient sceller notre volonté de faire de la lutte contre les maltraitances un objet prioritaire et transversal de nos politiques publiques. 

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Le premier axe de notre stratégie concerne l’effectivité des droits des personnes. 
En effet, pour faire respecter ses droits… encore faut-il les connaître ! 

Nous commençons donc par ce préalable essentiel, car, l’avancée en âge, le handicap, peuvent exposer les plus fragiles de nos concitoyens à voir leurs choix moins écoutés, leurs libertés moins reconnues, les exposant, de facto, à devenir victimes de maltraitance.

C’est pourquoi une démarche volontariste d’information sur les droits sera mise en œuvre, dans des formats adaptés à chaque public, dans une logique de participation et d’ « aller-vers » les personnes concernées et leurs proches, en mobilisant l’ensemble des professionnels, structures et acteurs engagés auprès d’eux.

Le même effort sera fait pour faciliter la communication de toutes les personnes qui sont en difficulté pour s’exprimer, notamment verbalement, et leur permettre de faire connaître leurs besoins, leurs aspirations et leurs difficultés. 
En particulier, les démarches et les outils de communication alternative et améliorée pour les personnes âgées ou handicapées non-verbales seront diffusées dans tous les établissements. 

L’objectif est qu’il n’y ait pas de « mauvaise porte d’entrée » - ce que les anglo-saxons appellent l’approche « no wrong door » - pour demander de l’aide ou signaler un problème, avec une écoute, une orientation ou une réponse, systématiquement proposées.  

Le rôle des Conseils de la vie sociale et des représentants des associations d’usagers est tout à fait clef dans ces domaines, c’est pour cela que nous les confortons. 

Le respect des droits et la protection des personnes ne se limitent pas, bien sûr, aux établissements. Ils seront aussi renforcés à domicile, grâce notamment à la diffusion d’un nouveau référentiel élaboré par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui permet l'évaluation des situations de maltraitance intrafamiliale à domicile. 

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Le deuxième axe de notre stratégie permet de doter localement les acteurs de terrain d’outils efficients pour améliorer le recueil, le suivi et la réponse aux situations de maltraitance, et renforcer la coordination entre acteurs compétents. 
En particulier, dans chaque territoire, sera instituée une cellule en charge du recueil, de l’évaluation et du traitement des signalements. 

Elle constituera un point d’entrée unique des alertes pour que toute personne puisse faire connaître toute situation à risque. 

Parce que la réponse aux maltraitances nécessite la mobilisation de tout le corps social, par-delà les seuls acteurs publics, les alertes et les réponses apportées feront chaque année l’objet d’un échange au sein de la Commission régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA). 

La mise en place de ce « rendez-vous de transparence » était notamment une préconisation de la Conférence nationale de Santé, dans son rapport dédié à la lutte contre les maltraitances. 

Si j’en ai évidemment déjà pris connaissance, je veux dire à son Président que je prendrais le temps de me faire remettre votre travail, dès l’issue de nos échanges. 

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Le troisième axe de la stratégie vient renforcer notre vigilance collective face aux situations d’abus, avec notamment la généralisation du contrôle des antécédents judiciaires des intervenants, professionnels mais aussi bénévoles, qui interviennent auprès des personnes âgées ou en situation de handicap. 
Je tiens à saluer l’engagement des parlementaires qui a permis d’inscrire cette avancée dans la proposition de loi « Bien vieillir », et à souligner le travail constructif que nous avons mené avec le ministère de la Justice, pour que la mesure puisse être effective rapidement. 

Parallèlement, nous allons, grâce à des dispositions juridiques aménageant les obligations de secret professionnel, permettre à différents professionnels d’alerter sur des situations à risque ; mettant fin à des dilemmes éthiques auxquels ils étaient parfois confrontés. 

Grâce à la formation et à la sensibilisation des forces de l’ordre et des professionnels de la justice, nous poursuivons ainsi la construction de parcours judiciaires plus inclusifs et attentifs à la spécificité de la prise en charge des justiciables les plus fragiles, qui étant plus souvent victimes, sont aussi ceux qui renoncent le plus à porter plainte où à dénoncer les abus. 

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L’avant dernier axe de notre stratégie vise à ancrer dans toutes les strates de la société une culture commune et largement partagée de ce que nous appelons la « bien-traitance ». 

Il s’agit de renforcer la prévention contre les préjugés et les stigmatisations, en continuant de modifier le regard du grand public sur l'avancée en âge, la situation de handicap ou plus largement, la vulnérabilité.

Cela sera fait notamment grâce à des actions en faveur du lien intergénérationnel, le développement de la pair-aidance, et le plus large recours au savoirs dits « expérientiels » des personnes concernées dans la sensibilisation et la formation des professionnels. 

Je voudrais aussi insister sur l’importance du maintien des liens familiaux des personnes accueillies en établissement. 
Dans la lignée de la future loi « Bien vieillir », il ne sera désormais plus possible, sauf cas exceptionnel, de refuser à un résident qu’il soit en EHPAD ou en d’ESMS, ou à un patient hospitalisé de recevoir la visite de toute personne de son choix. 

C’est une avancée importante et attendue, et je suis fière de voir sa concrétisation dans la loi. 

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Finalement, Mesdames et Messieurs, et c’est une annonce importante : notre cinquième et dernier axe vient intensifier et inscrire dans la durée notre politique de contrôle des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. 

Je l’ai mentionné, dès 2022, le Gouvernement a lancé un vaste plan de contrôle systématique des EHPAD. 
Ce plan a déjà permis, grâce à la mobilisation de 120 ETP dédiés, de contrôler plus de la moitié des quelques 7 500 établissements pour personnes âgées du pays, sans compter les vérifications de suivi, pour accompagner la mise en œuvre des solutions dans les établissements qui présentaient des difficultés. 

L’objectif est bien entendu d’aller au bout de cette opération, avec l’ensemble des EHPAD contrôlés d’ici la fin de l’année 2024.

Cette politique de contrôle des EHPAD ne doit cependant bien sûr pas s’arrêter là. Elle doit s’inscrire dans la durée et se poursuivre dans les années à venir, grâce au renforcement récent des moyens humains dédiés.

Il s’agit d’intensifier, d’élargir et de systématiser cette démarche nécessaire d’inspection-contrôle : je ne veux plus qu’il puisse y avoir de situations qui passeraient « entre les mailles du filet » ! 

C’est pourquoi, nous lançons un nouveau plan de contrôle qui concernera à terme tous les établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap. 

D’ici la fin du premier semestre 2024, une circulaire précisant les modalités et les objectifs à atteindre pour ce plan sera établie et diffusée à l’ensemble des ARS, chargées de mettre en œuvre ces contrôles. Et je souhaite qu’il y ait de plus en plus de contrôles inopinés ! Quand il y a signalement cela devrait être systématiquement. 

Le respect des droits des personnes en établissement et la mise en œuvre des bonnes pratiques est une exigence absolue avec laquelle nous ne transigerons jamais, et nous nous donnons résolument les moyens de cette « tolérance zéro » face aux abus. 

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Mesdames et Messieurs, chers amis, voici donc les grandes orientations et principales mesures de notre stratégie nationale de lutte contre les maltraitances ; qui, j’en suis persuadée, sont de nature à nous permettre de franchir une nouvelle étape dans notre mobilisation commune.

Car je n’aurai de cesse de le répéter, le fléau des maltraitances n’est pas une fatalité, mais c’est seulement en continuant d’agir tous ensemble que nous en viendrons à bout. 

C’est pourquoi je souhaite que cette stratégie soit également un outil de suivi et de pilotage de cet effort collectif. 
Pilotage et déploiement qui seront assurés ici, directement au ministère du Travail de la Santé et des Solidarités, et qui feront l’objet d’un avis annuel indépendant établi par une commission nationale dédiée, rattachée à la Conférence nationale de santé.

En tant que ministre des Personnes âgées et des Personnes handicapées, je suivrais cela de très près. 
Et je m’engage devant vous à présider personnellement, d’ici six mois, un premier Comité de pilotage de cette stratégie pour m’assurer que nous avançons bien à un rythme qui doit être à la hauteur de nos ambitions et à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

Vous pouvez compter sur moi, comme je sais pouvoir compter sur vous, encore et toujours. Alors encore une fois, merci, et maintenant le travail continue ! 

Je vous remercie. 
 

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