Situation sociale : analyse des derniers chiffres de l’Insee et du Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté du CNLE

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Analyse des derniers chiffres de l'Insee et du baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale du CNLE

L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié le 23 novembre 2023 l’édition 2023 de son ouvrage de référence « France, portrait social » peu après la parution, le 14 novembre 2023, des chiffres officiels sur la pauvreté monétaire relative et l’évolution des inégalités en France métropolitaine pour l’année 2021. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) revient sur ces dernières publications, pour analyser l’évolution des chiffres de la pauvreté.

Depuis 2018, la pauvreté monétaire se stabilise à un niveau élevé... 

L’Insee affiche une certaine prudence dans ses commentaires sur les variations annuelles de la pauvreté monétaire, en raison d’une part, des spécificités de l’année 2020 dans le contexte de la crise sanitaire et d’autre part, d’une refonte au même moment de l’enquête de référence (Enquête sur les Revenus Fiscaux et Sociaux). En conséquence, les commentaires portent sur une évolution de moyen terme (depuis 2018).

À la lecture des résultats, le CNLE tient à souligner les évolutions mises en lumière par l’Institut statistique, qui souligne que : 

  • « le niveau de vie recule pour la première moitié de la distribution », c’est-à-dire les 50 % de Français vivant en ménage ordinaire qui ont les revenus les plus faibles. Cette « baisse est plus prononcée pour les 20 % des ménages les plus modestes » ;
  • avant redistribution, « le contexte de la reprise économique bénéficie à l’ensemble des ménages, excepté les plus modestes ». A contrario, la hausse des revenus avant redistribution est particulièrement marquée pour les plus aisés, ce qui contribue à l’augmentation des inégalités : « la hausse des indicateurs d’inégalité de niveau de vie en 2021 traduit principalement celle des inégalités avant redistribution ». 

Compte tenu de ces tendances, plusieurs résultats majeurs doivent retenir notre attention pour ce qui concerne l’évolution de la pauvreté 

  • le taux de pauvreté monétaire au seuil officiel de 60 % du niveau de vie médian de l’ensemble de la population (1 158 euros par mois en 2021) augmente de 0,9 point en 2021, soit 552 000 personnes pauvres supplémentaires par rapport à l’année 2020. Cela porte à 14,5 % la part des personnes en situation de pauvreté monétaire dans la population en France métropolitaine, part comparable à celle connue en 2018 et 2019 mais plus élevée qu’en 2017 (13,8 %) ;  
  • la pauvreté monétaire en 2021 est plus intense qu’en 2020 mais aussi qu’en 2018 ou 2019 : l’écart entre le niveau de vie médian des populations pauvres et le seuil de pauvreté s’est creusé 
  • la grande pauvreté n’est pas épargnée puisque le taux de pauvreté monétaire à 50 % du niveau de vie médian (965 euros par mois en 2021) enregistre lui aussi une augmentation et atteint son niveau le plus élevé depuis 2017.

L’Insee impute la hausse de la pauvreté monétaire en 2021 principalement à l’arrêt des aides de solidarité exceptionnelles versées aux ménages les plus modestes l’année précédente dans le contexte de la crise sanitaire et à l’évolutions inégalitaire des revenus primaires. Autres facteurs explicatifs dans une moindre mesure : les revalorisations insuffisantes de plusieurs prestations sociales, alignées sur l’inflation observée l’année précédente, et la réforme des allocations logement entrée en vigueur en janvier 2021 qui instaure un calcul trimestriel portant sur les ressources des 12 derniers mois alors qu’auparavant elles étaient attribuées pour une année entière, en fonction des revenus perçus deux ans plus tôt.

Finalement, en comparant les niveaux post-crise sanitaire aux niveaux d’avant crise, le CNLE tient à souligner que la pauvreté monétaire s’installe, ces dernières années, sur un plateau élevé, autour de 14,5 % de la population, plus élevé qu’en 2017 (13,8 %). Le franchissement de ce seuil avait été rattaché par l’Insee pour l’année 2018, à la réforme des allocations logement les réduisant forfaitairement de 5 euros et les supprimant pour de nombreux accédants à la propriété (Insee première, n°1813, 09/09/2020). 

… tandis que la pauvreté matérielle et sociale augmente début 2022.

Mais l’évolution de la pauvreté et de l’exclusion sociale ne s’appréhende pas uniquement à partir d’une mesure monétaire des situations, l’expertise la complétant généralement par d’autres approches, et en particulier par celles portant sur les conditions de vie des populations. 

Les derniers résultats de l’Insee indiquent que début 2022, la proportion de personnes en situation de privation matérielle et sociale augmente significativement, atteignant son plus haut niveau depuis 2013, soit 14 % de la population de France métropolitaine. Ainsi, 9 millions de personnes déclarent subir des privations, c’est-à-dire des difficultés pour couvrir certaines dépenses de la vie courante. Parmi les plus fortes hausses de difficultés déclarées figurent notamment l’incapacité financière à chauffer correctement son logement et à satisfaire un besoin alimentaire, en lien avec l’envolée des prix de l’énergie et dans une moindre mesure de l’alimentation. En effet, ces constats s’expliquent essentiellement par la forte accélération de l’inflation début 2022, qui est venue obérer le budget des ménages et éroder leur pouvoir d’achat. 

Sachant que l’inflation a continué à progresser à vive allure jusqu’au début 2023, avant de décélérer depuis lors, il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure les dispositions de sauvegarde et mesures anti-inflation prises tout au long de 2022 par les pouvoirs publics pour soutenir les ménages, en particulier les plus modestes, ont permis de contenir la pauvreté matérielle et sociale ainsi que la pauvreté monétaire cette même année. Est-il besoin de rappeler que les populations les plus modestes ont dû faire face à une inflation supérieure à la moyenne ou à celle des plus aisés, les disparités d’inflation entre les ménages étant accentuées par la forte hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie.

Ce que l’on sait par contre, à partir des exercices de microsimulation de l’Insee, c’est que ces mesures socio-fiscales, notamment anti-inflation, ont eu un fort effet amortisseur chez les plus modestes.  En moyenne en 2022, la hausse des dépenses supplémentaires générée par l’inflation est compensée entre 80 % et 85 % par la hausse du niveau de vie des 30 % les plus modestes, par ailleurs plus contraints financièrement, et à hauteur de 90 % de la hausse du niveau de vie de l’ensemble de la population métropolitaine. Les revenus du patrimoine ont largement compensé la hausse des dépenses de consommation liée à l’inflation chez les 10 % les plus aisés.

Le baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté du CNLE scrute les difficultés conjoncturelles pouvant s’ancrer dans le long terme. 

La première vague d’interrogations du Baromètre qualitatif de suivi de la pauvreté et de l’exclusion sociale du CNLE, avait révélé les effets de déstabilisation de la crise sanitaire sur les personnes déjà fragiles avant crise et l’apparition dans les permanences sociales de nouveaux publics que la crise sanitaire avait fait basculer dans la pauvreté. La deuxième vague du Baromètre, couvrant la période depuis mars 2022 jusqu’à l’automne 2022, explore cette fois-ci notamment les conséquences de l’inflation, captant plus généralement des signaux faibles, parfois invisibles, par lesquels s’opèrent, par exemple, les basculements dans la précarité, voir même l’exclusion sociale. 

Selon les acteurs de terrain interrogés lors de cette deuxième vague, de nombreux publics sont concernés par les conséquences de l’inflation. Ils signalent trois conséquences principales à cette dégradation des situations :

  • la montée d’un sentiment de colère, de frustration ou encore d’abandon ;
  • l’invisibilité de certains publics 
  • un risque de spirale de la précarisation. 

Le CNLE rappelle que, dans son rapport intitulé « La pauvreté démultipliée - Dimensions, processus et réponses » remis au Premier ministre, en mai 2021, il avait souligné la dégradation rapide des conditions de vie des ménages les plus pauvres à l’œuvre, mais sans pouvoir pleinement démontrer ni mesurer cette évolution. Mobilisant les sciences sociales, l’expertise des associations et collectivités ainsi que l’expérience des personnes concernées par la pauvreté, ce rapport apportait un premier éclairage précoce sur l’impact social d’une crise sanitaire à bien des égards, inédite. 

Une vigilance sociale renforcée du CNLE

Le CNLE qui procède à un renforcement de son dispositif d’observation sociale et de suivi analytique de l’évolution de la pauvreté et de l’exclusion sociale, restera vigilant compte tenu de ces évolutions et d’un coût de la vie amené à rester durablement plus élevé qu’avant la crise inflationniste. Surtout, du fait de cette succession de crises, sévères, parfois inédites (crise des subprimes de 2008/2009, crise sanitaire 2020/2021, crise inflationniste historique …), le CNLE restera en alerte sur les traces qu’elles peuvent laisser et les risques qu’elles font peser sur la cohésion sociale.
 

Contact presse

Chimène Mandrin
tél : 07 63 18 64 59
mél : dgcs-com-cnle@social.gouv.fr