Prise de parole de Jean-Christophe Combe au comité de filière Petite enfance

Le 22 septembre 2022

Publié le | Temps de lecture : 11 minutes

Prise de parole introductive de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, à l’occasion de la réunion plénière de rentrée du comité de filière Petite enfance, le 22 septembre 2022.

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les membres du comité de filière Petite enfance,
À commencer par vous, Madame la Présidente, chère Élisabeth Laithier,

Je vous remercie de m’accueillir parmi vous pour cette réunion de plénière de rentrée, qui marque la jonction entre le deuxième et le troisième cycle de vos travaux.

Je vous remercie aussi de ce mot d’accueil, qui vient rappeler combien l’instance au nom de laquelle vous me l’adressez est un partenaire à la fois constructif et exigeant.

Soyez assurée que je m’en réjouis, et que je sais que c’est là non seulement la marque d’une filière désireuse de prendre son propre destin en main demain plus qu’hier, mais aussi la condition essentielle pour que nous relevions ensemble la somme de défis qui nous attendent.

Et des défis, nous n’en manquons pas, en cette rentrée qui n’est bien sûr pas une rentrée comme les autres.

Car trois défis, au moins, en font je crois une rentrée particulière.

  • Un fait, d’abord : la pénurie de professionnels, dans le champ de la petite enfance comme dans celui de tous les métiers de l’humain, en France comme à l’étranger ;
  • Une menace, ensuite, et au-delà de l’exceptionnalité de la tragédie lyonnaise du printemps dernier : la parole libérée à la fois sur des situations pouvant être qualifiées de maltraitantes, et plus largement sur le mal-être au travail de certains professionnels se sentant tiraillés entre le sens qu’ils mettent à leurs métiers de l’accueil, et les conditions qui leur sont données pour les exercer ;
  • Un horizon, enfin : celui d’un service public nouveau, le service universel d’accueil du jeune enfant, engagement de campagne du président de la République, réaffirmé par la Première ministre, et inscrit à ma feuille de route en tête des priorités qui me sont fixées.

J’ai déjà eu il y a quelques jours l’occasion de présenter l’ensemble de ma feuille de route en matière de politique familiale devant le conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) – je n’y reviendrai donc pas.

J’aurai l’occasion lundi prochain, à l’occasion de la Rentrée des pros de la petite enfance, de développer ma vision des prochains jalons à poser pour la construction du service public de la petite enfance, je ne le ferai donc pas aujourd’hui.

Ce que je voudrais partager avec vous ce matin, ce sont plusieurs convictions, et les conséquences que j’en tire pour les prochains mois, s’agissant tant de mon action en tant que ministre chargé de la petite enfance que de votre action en tant que comité de filière, composé des représentants de l’ensemble du secteur dans toute sa diversité, et chargé de proposer les mesures à même de restaurer l’attractivité des métiers, chacun de nous en responsabilité.

Première conviction : d’abord et avant tout, nous devons faire face à la menace qui pèse sur nos enfants et prendre les mesures qui s’imposeront pour y mettre fin.

Pour faire suite aux signalements remontés au printemps, ma première décision de ministre de la petite enfance a été de demander à l’Inspection générale des affaires sociales :

  • D’évaluer la robustesse des règles prises pour assurer la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis en crèche ;
  • De se pencher sur la qualité des contrôles de leur application ;
  • Et de proposer toutes évolutions qui sembleront utiles aux inspecteurs pour les renforcer.

La mission est en cours, et je sais que les inspecteurs s’entretiennent en cette rentrée avec vous, représentants nationaux, et se déplacent sur le terrain.

Je sais que vous serez autant que moi attachés à tout faire pour que cette mission soit pleinement informée et pour que ses recommandations nous éclairent utilement quant aux changements que nous devrons apporter.

Je veux que tout parent soit assuré que quand il confie son enfant à une équipe de professionnels, il peut toujours le faire en toute confiance.

Ce sera d’ailleurs un fil rouge de mon action en tant que ministre de toutes les personnes vulnérables, comme en témoigne la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances que j’ai lancée la semaine dernière sur l’ensemble de mon périmètre.

Deuxième conviction : ne voyons pas la pénurie de professionnels comme un obstacle à la construction du service public de la petite enfance. Voyons plutôt la construction du service public de la petite enfance comme une chance pour résorber la pénurie de professionnels.

Je ne suis pas un naïf :

  • Bien sûr, il aurait été plus aisé, pour nous tous, de travailler à la construction du service universel d’accueil du jeune enfant dans un monde idéal où la pénurie de professionnels n’existerait pas ;
  • Bien sûr, ce monde idéal n’est pas le nôtre, et il nous manque dès aujourd’hui 10 000 professionnels pour rétablir dans des conditions de travail normales notre capacité théorique d’accueil actuelle.

Je suis, bien au contraire, un réaliste et un pragmatique, ce qui implique :

  • D’évaluer l’ensemble de ses marges de manœuvre, en négatif comme en positif ;
  • Et donc non seulement de savoir reconnaître les contraintes qui limitent notre action, mais aussi de voir les atouts dont nous disposons pour les dépasser.

Les contraintes, vous les connaissez, et elles sont assez souvent rappelées pour que je n’aie pas à le faire moi-même.

C’est donc sur nos atouts que je voudrais maintenant insister, et deux en particulier.

Le premier atout, c’est vous, le comité de filière Petite enfance.

Le secteur est organisé, ses représentants sont rassemblés, et c’est ensemble, appuyés par les administrations qui ont travaillé pour vous, que vous avez produit une première série de recommandations très concrètes, très opérationnelles, pour remédier à la pénurie.

Vous avez marqué le point de départ, en documentant le nombre de professionnels manquants et en attirant l’attention sur le mal-être qui traverse une partie de la profession.

Vous avez indiqué la voie à suivre et signalé les étapes à franchir sur ce chemin, en recensant tous les freins au recrutement et à la progression professionnelle dans la filière et en proposant des évolutions qui nous permettront de franchir ces obstacles.

En obtenant de ma part des réponses favorables à plusieurs de vos demandes dès mon arrivée en fonctions, vous avez démontré que ce travail inédit de construction de solutions, au-delà de la remontée des problèmes, portait ses fruits.

Je compte sur vous pour poursuivre dans cette voie, et je pense que la proposition de programme de travail du cycle trois que vous discuterez aujourd’hui vous en fournit la matière.

Le deuxième atout, c’est l’organisation territoriale de la petite enfance, qui est désormais mise au clair dans le cadre des comités départementaux des services aux familles.

Souvenons-nous que ce n’est que depuis ce printemps que cette gouvernance locale enfin obligatoire et homogène à l’échelle de l’ensemble du territoire est enfin installée.

C’est à elle qui reviendra à l’avenir de recenser les besoins en professionnels pour les années à venir à l’échelle du département, et de faire remonter ces besoins à l’échelle de la région pour que les places de formation soient ouvertes en nombre suffisant.

C’est grâce à ce travail de prévision et d’organisation concertée que nous pourrons demain empêcher le retour d’une pénurie telle que celle qui nous frappe aujourd’hui.

Le troisième atout, c’est précisément l’engagement pris au plus haut niveau de l’État à construire le service public de la petite enfance : l’objectif d’assurer à chaque parent une solution d’accueil pour son jeune enfant place le sujet tout en haut des priorités politiques.

Car de petite enfance, et n’en déplaise à ceux qui voudraient le faire oublier, il a bien été question dans la campagne présidentielle, dans toutes les expressions du Président candidat, jusque dans sa profession de foi envoyée à tous les Français.

Cet engagement du Président désormais réélu, il nous engage aussi tous, à tous les niveaux du Gouvernement, dans l’ensemble des pouvoirs publics, à tout mettre en œuvre pour le matérialiser.

Cela supposera peut-être de changer certains textes de lois, ou d’en écrire de nouvelles.

Nous aurons donc des leviers d’action sans commune mesure avec ceux qui seraient à notre disposition si l’horizon d’un service public de la petite enfance ne nous en donnait l’opportunité.

Je sais que des preuves de notre résolution à agir concrètement et avec ambition sont attendues.

Je vous invite à suivre, et parmi vous tout particulièrement les représentants de l’accueil individuel, l’actualité de la semaine prochaine pour achever de vous en convaincre.

Troisième conviction, et je conclurai par celle-ci, qui est pour moi d’une particulière importance : pour réussir, nous devrons jouer collectif et agir chacun en responsabilité.

C’est à ce titre que je répondrai dans quelques minutes à vos propositions s’agissant de la revalorisation des professionnels de la petite enfance.

Mais avant cela, je souhaite revenir quelques instants sur notre responsabilité en tant qu’acteurs nationaux de la petite enfance envers les professionnels qui font vivre ce secteur chaque jour sur le terrain.

Cet été j’ai pris un arrêté relatif aux professionnels autorisés à exercer en crèche, dont des projets avaient été présentés à ce comité.

Cet arrêté apporte les dernières précisions pour mettre en œuvre des avancées attendues, telles que la reconnaissance facilitée et sécurisée des diplômes étrangers, les qualifications nécessaires pour conduire des séances d’analyse de la pratique, ou encore celles demandées pour être référent santé et accueil inclusif.

Cet arrêté sécurise aussi une dérogation au principe de l’embauche de professionnels qualifiés, dérogation qui existe depuis plus de vingt ans, en y posant des verrous et conditions supplémentaires à celui, qui est maintenu, de l’accord du service de Protection maternelle et infantile (PMI).

Il ne vous a sans doute pas échappé que cet arrêté a fait couler beaucoup d’encre.

J’ai déjà eu l’occasion de corriger la présentation déformée qui en a été faite, et qui a inutilement occasionné des inquiétudes infondées chez les professionnels de terrain.

Je veux aujourd’hui, à froid, vous partager deux réflexions que cet épisode m’inspire.

La première, c’est que, si bien sûr toutes les inquiétudes des professionnels de terrain, face à des textes réglementaires qui ne sont pas toujours faciles à lire, sont légitimes, je crois que pour autant il devrait être de la responsabilité de ceux qui parlent en leur nom de prendre le temps d’examiner la réalité des faits, et d’apaiser les craintes qui s’expriment, plutôt que les nourrir, dès lors qu’il est démontré qu’elles sont infondées.

La deuxième, c’est qu’à l’occasion de cet épisode, des voix ont suggéré que la reconversion professionnelle, l’apprentissage, la formation continue ou la validation des acquis de l’expérience ne seraient pas à même de permettre à des personnes qui souhaitent rejoindre le secteur d’acquérir toutes les compétences requises.

Je tiens à le dire avec force : il n’est bien sûr pas question de transiger avec la qualité d’accueil ni donc avec les exigences en termes de qualification.

Cela ne veut pas dire pour autant que la formation initiale serait l’unique moyen acceptable d’acquérir ces qualifications.

Tenir ce type de propos, c’est faire bien peu de cas de tous les professionnels qui sont arrivés à vos métiers ou y ont progressé par d’autres voies, souvent au prix d’un immense investissement et de grands efforts et sacrifices personnels.

Former de nouveaux professionnels, à quelque stade de leur vie qu’ils soient, fait partie de la solution, et pas du problème.

J’en viens enfin, et pour conclure, au rendez-vous que je vous avais fixé s’agissant de la revalorisation des professionnels de la petite enfance, rendez-vous qu’en responsabilité je tiens aujourd’hui.

S’agissant de l’accueil individuel, vous aurez dans les tout prochains jours l’occasion de mesurer l’effort consenti par la collectivité pour ouvrir aux assistants maternels de nouvelles perspectives, en pleine cohérence avec notre volonté de franchir enfin le cap d’une égalité d’accès financière des parents aux différents modes d’accueil, démultipliant ainsi leurs possibilités d’augmenter leur niveau d’activité, et donc les revenus qui en découlent.

S’agissant de l’accueil collectif, je vous confirme que l’État, comme il a déjà accompagné par deux fois cette année les employeurs face aux effets de l’inflation en autorisant le déblocage de plus de 100 millions d’euros pour deux revalorisations exceptionnelles de la PSU, sera prêt à accompagner financièrement des revalorisations salariales, en cohérence avec notre ambition de création du service universel d’accueil du jeune enfant sous réserve toutefois de plusieurs conditions préalables.

En effet, l’approfondissement de la documentation du secteur conduit pour le comité de filière Petite enfance a révélé d’une part des limites dans notre capacité collective à le décrire, d’autre part sa grande disparité en termes de droits comme de situations réelles des professionnels.

C’est pourquoi, en contrepartie de l’effort financier qui sera consenti par la collectivité, l’État pose les conditions suivantes.

D’une part, parce que les rémunérations relèvent d’abord et avant tout du dialogue social, que des accords soient conclus par l’ensemble des partenaires sociaux concernés, dans le cadre des règles générales qui leur sont applicables, pour définir les modalités de répartition de cet effort financier qui leur sembleront les plus pertinentes.

Ces accords devraient être conclus d’ici à la fin du premier trimestre 2023, en vue que leurs conséquences puissent en être tirées dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion entre l’Etat et la Caisse nationale des allocations familiales.

Ces accords devraient prévoir :

  • La définition et la description d’emplois-types, correspondant aux différents métiers des crèches, et communes à toutes les branches concernées, et sur cette base un comptage des professionnels de la petite enfance qu’elles abritent ;
  • L’établissement au plus tard fin 2027 pour les emplois-types ainsi définis d’une grille commune de salaires nets d’entrée, au moins au niveau de celle la plus favorable de l’ensemble des branches concernées en vigueur lors de la conclusion de l’accord ;
  • Un engagement à conduire une négociation visant à faire progresser la qualité de vie au travail des professionnels de crèche et à favoriser la continuité des droits pour les professionnels amenés à exercer dans les différentes composantes, publicprivé non-lucratif, et privé lucratif du secteur de la petite enfance.

D’autre part, ces négociations devront s’assortir de garanties fortes quant à la répercussion effective sur la rémunération des professionnels. Cela pourra impliquer dans certains cas une disposition législative, ce à prendre en compte dans notre calendrier.

Voici, Madame la Présidente, chère Élisabeth Laithier, Mesdames et Messieurs les membres du comité de filière « Petite enfance », les quelques mots que je souhaitais partager avec vous ce matin et, s’agissant de la revalorisation des professionnels, l’offre que je souhaitais vous faire et qu’il conviendra naturellement de préciser dans le cadre de futurs échanges si vous souhaitiez en retenir le principe général.

Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiterez peut-être m’adresser.