Les appels du CNLE concernant la situation des migrants (2015-2017)
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Retrouvez les appels du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) concernant la situation des migrants de 2015 à 2017
L'accueil des réfugiés et des migrants, une exigence morale et humaine - 17 septembre 2015
Aujourd’hui, les guerres, le terrorisme, les persécutions, la chasse aux minorités poussent des millions d’êtres humains à émigrer et des centaines de milliers de personnes souhaitent rejoindre l’Europe en quête de protection et de conditions de vie dignes.
Ces hommes, ces femmes, ces enfants sont des êtres humains qui ont besoin de notre solidarité et de notre protection.
Ils sont près de deux millions au Liban, un million en Jordanie et autant en Turquie. Ils sont des centaines de milliers arrivés en Allemagne, en Italie et en Grèce au cours des deux dernières années.
Considéré de tout temps comme patrie des droits de l’Homme, notre pays reste parmi les grandes nations d’accueil des demandeurs d’asile. En effet, il y a quelques années, la France était encore, après les États-Unis, le deuxième pays le plus sollicité par les demandeurs d’asile.
Nos consciences sont interpellées par ce cataclysme humain. Nous avons déjà vécu ces situations dramatiques dans le passé lorsque nous avons accueilli cinq cent mille espagnols lors de la guerre d’Espagne en 1939, plus d’un million de rapatriés d’Afrique du Nord en 1962, cent vingt mille boat people en 1972 en provenance du Vietnam, du Cambodge et du Laos.
Notre pays et les Français ont su faire face à leur devoir d’accueil, d’humanité et d’hospitalité au besoin en mobilisant des moyens exceptionnels.
Le CNLE perçoit très positivement l’engagement de recevoir vingt-quatre mille demandeurs d’asile supplémentaires, dont huit à dix mille enfants, en vingt-quatre mois, c’est-à-dire un millier par mois sur l’ensemble du territoire, soit environ dix par département.
Notre pays, l’un des plus privilégiés du monde, est sûrement capable de faire une place à sa table à l’étranger en situation de détresse et de précarité.
Dans ce contexte, le CNLE :
- Estime qu’une mobilisation de grande ampleur à court et à long terme est indispensable en s’appuyant sur la disponibilité spontanée à l’accueil que manifestent nombre de nos concitoyens.
- Attend de l’État un message clair et chaleureux, un engagement matériel et financier, à la hauteur du défi que le pays doit assumer, en amplifiant sensiblement les décisions financières déjà prises dans le cadre de la réforme en cours du droit d’asile. L’hébergement relève de la responsabilité de l’État ; celui-ci doit donc accroître très rapidement les capacités d’accueil et assurer le quotidien des personnes en grande précarité et, d’une manière particulière, celles qui sont obligées de fuir leur pays pour sauver leur vie. À cet effet, il est nécessaire d’ouvrir rapidement de nouvelles places en CADA pour garantir l’hébergement et l’accompagnement de tous les demandeurs d’asile, comme le prévoit la loi adoptée par le Parlement le 29 juillet dernier.
- Souhaite que la solidarité de l’accueil, de l’accompagnement et de l’insertion soit partagée entre l’État, les collectivités territoriales et l’ensemble de la société civile. À ce titre, il invite les collectivités territoriales à s’engager très activement dans une mobilisation sur le terrain pour démultiplier, avec l’aide de la société civile, les capacités d’hébergement et de premier accompagnement. Si l’État est responsable en première ligne, les solidarités de proximité sont également incontournables désormais.
- Estime aussi que cette solidarité doit être répartie de façon équitable entre tous les pays de l’Union européenne ;
- Demande à l’Union européenne de revoir complètement la règle du système d’asile et de suspendre bien entendu l’application du règlement de Dublin qui ne permet pas de demander l’asile dans un autre pays que celui dans lequel le réfugié est arrivé. De même, le CNLE pense que la France et l’Union européenne doivent renégocier avec le Royaume-Uni les règles d’entrée sur le territoire britannique et, en particulier, la situation des milliers de réfugiés qui depuis de nombreuses années vivent de façon misérable dans la jungle ou dans des camps à Calais ;
- Incite l’Union européenne à ouvrir des voies d’accès légales et sûres pour les demandeurs d’asile qui se trouvent dans des pays tiers et qui souhaiteraient rejoindre l’Europe sans risquer leur vie et sans avoir recours à des passeurs. La délivrance de visas s’impose notamment pour le regroupement familial et la sécurisation des personnes. Ce droit au séjour doit être prolongé par des mesures permettant leur intégration, au premier chef desquelles le droit au travail et l’accompagnement vers la citoyenneté.
Le CNLE comprend la multiplicité croissante des causes de départ et la nécessité de distinguer l’asile politique de l’exil économique.
Mais il nous faut rester vigilant et ne pas prendre prétexte des impératifs de l’asile pour exclure toute autre possibilité d’accéder légalement au séjour dans notre pays.
Il convient en particulier de traiter avec humanité et clarté la situation des personnes qui ne peuvent ni prétendre à l’asile, ni être renvoyées dans un pays d’origine.
Simultanément, nous devons faire plus pour tous les publics plongés dans la grande pauvreté et ne pas mettre en concurrence les personnes en situation de précarité installées sur notre territoire avec les nouveaux arrivants.
Affronter avec humanité les nouvelles réalités migratoires - 3 mai 2016
Le CNLE considère que l’État français et l’Union européenne doivent prendre la pleine mesure des défis migratoires d’aujourd’hui et de demain, et que l’accord passé le 18 mars 2016 avec la Turquie est un pis-aller qui ne saurait tenir dans la durée.
Les peuples européens, qui souffrent eux aussi du terrorisme, ont pour devoir de faire preuve d’une solidarité réelle envers ceux qui sont victimes de la terreur.
Face à la nouvelle donne migratoire, la France et l’Union européenne doivent mener des politiques plus ouvertes, à une échelle adaptée aux nouvelles réalités.
Le CNLE constate que l’État français et l’Union européenne amorcent une redéfinition de leurs politiques migratoires. Cependant, il considère que la pleine mesure des défis migratoires d’aujourd’hui et de demain n’est pas encore prise.
Tout au long de son histoire récente (accueil des réfugiés fuyant l’accession d’Hitler à la chancellerie en 1933 ; accueil des réfugiés espagnols en 1937 puis en 1939 ; accueil des réfugiés vietnamiens en 1979, etc.), la France a établi une tradition d’accueil et de protection des populations persécutées qui a fait sa grandeur morale et contribué à son dynamisme économique et culturel.
En cela, elle mettait en pratique les valeurs des droits de l’Homme et du citoyen qui sont devenues aujourd’hui européennes.
Ces valeurs doivent se traduire, aujourd’hui plus encore qu’hier, par des politiques nationales et européennes engagées et ambitieuses où le respect des réfugiés et des migrants tient la première place.
Agir ensemble concrètement et efficacement dans une perspective de long terme, mobiliser la disponibilité et la conscience citoyenne de notre pays sont les manières les plus sûres de s’opposer aux discours de peur et de repli sur soi.
À cet égard, le CNLE considère l’accord passé le 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie comme un pis-aller qui ne saurait tenir dans la durée. En traitant les demandeurs d’asile comme un flux indésirable qu’il convient de détourner, il fait encourir à l’Union européenne des risques graves :
Celui du conflit juridique avec l’application des principes mêmes de l’asile, celui du ressentiment des populations troquées comme des marchandises. L’accord signé avec la Turquie illustre un déficit insoutenable de solidarité des États de l’Union européenne.
Dans ce contexte, le CNLE adresse aux pouvoirs publics les recommandations qui suivent.
Notre pays doit tout mettre en œuvre pour rendre effectif l’engagement qu’il a pris dans le cadre de la décision européenne du 22 septembre 2015 : accueillir en deux ans 30 700 réfugiés supplémentaires, relocalisés à partir des pays de premier accueil.
Cela implique d’amplifier très sensiblement les processus de coopération entre les administrations des États membres et la convergence juridique des régimes nationaux du droit d’asile.
Cela nécessite aussi que la coopération européenne en matière d’instruction de l’asile (le règlement de Dublin, en cours de révision) puisse prendre en considération les projets et les capacités des demandeurs.
Cela ne signifierait pas que les États membres renoncent à leurs prérogatives souveraines, mais pourrait accroître sensiblement l’efficacité des mesures attribuant à chacun la responsabilité de l’instruction de l’asile, y compris dans le contexte d’une relocalisation.
En tout état de cause, le CNLE estime qu’un accroissement de l’ordre de 15 000 demandeurs d’asile par an dans notre pays ne peut être qu’un premier pas, sans commune mesure avec le changement d’échelle de la question des réfugiés à laquelle l’Union européenne se trouve confrontée pour plusieurs années à venir.
L’Organisation des nations unies, des zones de risque subsistent et les réfugiés sont souvent dans un état sanitaire préoccupant. Il est important que notre pays puisse tout mettre en œuvre pour que leur situation puisse être considérée de manière globale.
La situation doit particulièrement être améliorée pour ce qui concerne les mineurs isolés étrangers qui sont particulièrement vulnérables et dont l’accès à l’aide sociale de droit commun n’est malheureusement pas encore assuré sur l’ensemble du territoire.
L’allocation pour demandeur d’asile doit être revalorisée. Elle concrétise certes une volonté de simplification et prend mieux en compte la situation des familles, mais son montant actuel ne permet pas à ces personnes de subsister dignement et de présenter leur demande d’asile dans de bonnes conditions, alors qu’elles sont privées du droit au travail.
D’autre part, un effort doit être opéré pour améliorer l’accès aux procédures, notamment en offrant des informations adaptées aux non-francophones.
La réforme remplaçant la CMU de base par la Protection universelle maladie (PUMa) ne doit pas se traduire par une exclusion des droits des réfugiés qui sont accueillis sur notre territoire : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, en supprimant la durée incompressible d’un an d’ouverture des droits qui était jusqu’alors en vigueur, a introduit le risque de générer des ruptures voire des refus d’ouverture de droits pour les étrangers comme pour les demandeurs d’asile.
L’Europe doit ouvrir ses frontières aux demandeurs d’asile, tout comme elle doit pourchasser les passeurs criminels, trop souvent seuls recours des populations persécutées.
Les peuples européens, qui souffrent eux aussi du terrorisme, ont pour devoir de faire preuve d’une solidarité réelle envers ceux qui sont victimes de la terreur, qu’elle soit le fait de fanatiques religieux ou de dictateurs sanguinaires.
Courrier au Premier ministre relatif à la situation des migrants - 20 juin 2017
Dans le cadre de la réunion plénière du CNLE du 15 juin 2017, les membres du conseil ont exprimé leur préoccupation à Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la Santé, concernant la situation des migrants en France et notamment dans le Calaisis et la vallée de la Roya.
Le CNLE a publié deux appels concernant la situation des migrants en 2015 et en 2016.
Dans ces appels, il rappelle que la seule conduite que nous devons tenir est celle fondée sur l’accueil et le respect des droits fondamentaux, que l’État français et l’Union européenne doivent prendre la pleine mesure des défis migratoires d’aujourd’hui et de demain.
Les peuples européens, qui souffrent eux aussi du terrorisme, ont pour devoir de faire preuve d’une solidarité réelle envers ceux qui sont victimes de la terreur.
En 2017, le Défenseur des Droits, dans son communiqué de presse du 14 juin constate les manquements que le CNLE dénonce depuis longtemps. Qu’il fasse état d’atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires, qui demeurent sans précédent n’est pas anodin et ne peut laisser sans réaction.
Le président du CNLE, Étienne Pinte, suite au discutions lors de la réunion plénière du CNLE du 15 juin 2017 lors de laquelle est intervenue Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a fait parvenir un courrier à l’attention du Premier ministre, Édouard Philippe et du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.
Il rappelle les valeurs de notre république et demande une impulsion au plus haut niveau de l’État pour que cessent au plus vite les exactions relevées par le monde associatif et rapportées par les personnes migrantes elles-mêmes. Il plaide également pour que la réponse sécuritaire ne passe pas avant la détresse des personnes, leur intégrité et leur dignité.