Intervention de Jean-Christophe Combe lors du colloque DREES sur le non-recours aux prestations sociales en France et en Europe
Colloque DREES, le mardi 13 décembre
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Intervention de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, le 13 décembre 2022 lors du colloque de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) : Le non-recours aux prestations sociales en France et en Europe.
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le directeur, cher Fabrice Lenglart,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de conclure ce colloque international sur le non-recours aux prestations sociales en France et en Europe. Je tiens tout d’abord à remercier la DREES et l’Odenore pour avoir organisé cet événement et je remercie aussi les très nombreux participants, presque 700, qui ont montré le vif intérêt pour cette question fondamentale pour l’avenir des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Grâce aux travaux novateurs qui ont été exposés aujourd’hui, notamment sur le non recours au RSA, au minimum vieillesse ou à la CSS, nous pouvons désormais identifier plus finement le public qui ne recourt pas et les raisons pour lesquelles des citoyens passent à côté de leur droit. Cette connaissance est absolument nécessaire pour que nous puissions concevoir des politiques efficaces.
Les travaux qui ont été présentés montrent à quel point c’est un phénomène d’ampleur, en France mais aussi chez nos voisins européens.
En Espagne, deux années après sa mise en application, on comptait 57 % de non-recourants à l’Ingresso minimum vital.
En France, nous étions dans une situation comparable lors de la mise en place du RSA et nous sommes à 46 % de non recours en Belgique concernant le Revenu d’intégration et 34 % aux Pays-Bas pour le Bijstand.
Le non recours aux prestations sociales est un échec que nous devons combattre.
C’est un échec pour l’efficacité des politiques et donc pour la légitimité de notre modèle social : il mine la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans nos institutions et dans notre réelle volonté de lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion.
C’est un échec pour les personnes que nous ciblons et donc un obstacle à notre politique de lutte contre la pauvreté. D’un point de vue macroéconomique, le non recours limite l’efficacité des stabilisateurs automatiques, si importants en période de crise pour soutenir notre économie.
Enfin c’est un échec pour nos finances publiques, puisqu’à long terme, cela accroît le coût de la lutte contre l’exclusion.
Aucun gouvernement, que ce soit en France ou en Europe, ne peut se satisfaire qu’un citoyen sur trois renonce à faire valoir ses droits.
C’est pour toutes ces raisons que nous avons fait de la lutte contre le non-recours une des priorités de ces prochaines années en matière de politique de solidarités.
Pour mettre en œuvre cette priorité nous l’avons inscrite au cœur du nouveau Pacte des solidarités que nous avons annoncé avec la Première ministre le 3 novembre dernier. Ce nouveau cadre d’action est actuellement en cours de concertation et il sera proposé à la signature des acteurs de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dès le début de l’année 2023.
Bien sûr, en matière de lutte contre le non recours, nous ne partons pas d’une feuille blanche et je tiens à rappeler les efforts importants qui ont déjà été déployés :
- Je pense, par exemple, à la mise en place d’un accueil social inconditionnel à moins de 30 minutes, sur l’ensemble du territoire dans le cadre des contrats signés avec les Départements, ainsi que les maisons France Service, dont le déploiement est aujourd’hui porté par Stanislas Guérini en tant que ministre de la Transformation et de la Fonction publique ;
- Je pense également à la question de la domiciliation, étape essentielle pour permettre à nos concitoyens les plus précaires de demander les prestations auxquelles ils ont droit ;
- Je pourrais aussi citer l’attribution automatique de la CSS pour les bénéficiaires du RSA et je sais pouvoir compter sur l’engagement de tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le non recours : je pense notamment aux rendez-vous des droits mis en œuvre par les CAF, qui permettent un accompagnement humain et personnalisé et ont démontré leur efficacité.
Mais cela n’est pas suffisant ; et les chiffres que vous avez évoqués ce matin sur le non recours au RSA, au minimum vieillesse ou à la complémentaire santé solidaire nous obligent à redoubler d’efforts pour faire baisser significativement et durablement le non recours aux prestations sociales.
C’est pourquoi j’ai souhaité, dès ma prise de fonction, lancer plusieurs chantiers, pour agir concrètement sur les différentes causes du non recours.
Tout d’abord, nous allons lancer la réforme de la solidarité à la source. C’est une réforme ambitieuse, en plusieurs étapes, qui se déploieront tout au long du quinquennat.
La première étape de la réforme, qui sera déployée au cours de l’année 2024, consistera à simplifier massivement les démarches administratives pour bénéficier des prestations de solidarité, le RSA et la prime d’activité dans un premier temps. L’objectif est de s’inspirer de la logique de la déclaration fiscale préremplie, pour dépasser les souffrances psychologiques face « aux papiers », illustrées par le témoignage vidéo de l’association Les papiers casse-tête qui a été diffusé aujourd’hui. A partir de 2024, les formulaires de demande et de renouvellement du RSA et de la prime d’activité seront pré remplis à partir des informations déclarées par les entreprises, et les allocataires n’auront plus qu’à les valider.
Par le préremplissage des formulaires de demande et de renouvellement, je compte également prévenir les indus et lutter contre la fraude. Nous savons tous à quel point ces situations où l’on demande à des allocataires de rembourser tout ou partie de leurs prestations, car leurs ressources ont dans un premier temps été mal déclarées, sont dramatiques pour ceux qui les subissent. Pour près de 10 % des français, c’est même cette peur de subir des conséquences négatives qui est à l’origine du phénomène de non recours. En matière de fraude, cette réforme permettra sans aucun doute de lutter contre les fausses représentations qui circulent régulièrement sur ce sujet, mais aussi de participer activement à l’éradication définitive de la fraude, ce fléau de la confiance contre lequel nous devons sans relâche innover.
Enfin, grâce à la mise en commun des données de revenus dont disposent les différentes caisses et administrations, des travaux d’explorations de données pourront être menés : les personnes potentiellement éligibles, mais non recourantes, pourront être identifiées, puis contactées et invitées à faire valoir leurs droits. Par-là, je veux lutter contre le sentiment de stigmatisation que vivent les potentiels allocataires lorsqu’ils doivent se rendre à un guichet pour demander une aide.
La seconde étape de la solidarité à la source consiste à repenser les paramètres de nos prestations de solidarités, pour en harmoniser les bases ressources. Notre objectif est de rendre notre système de solidarité plus lisible, pour que nos concitoyens comprennent mieux son fonctionnement. Ce sera notamment l’occasion de garantir que le travail paye toujours significativement mieux que l’inactivité. L’équilibre des droits et des devoirs est quelque chose de sensible, de fragile, que nous devons régulièrement réinterroger : là aussi c’est une question de confiance, c’est-à-dire de contentement à l’impôt et de cohésion sociale. Cette deuxième étape de la solidarité à la source est extrêmement ambitieuse et complexe à mettre en œuvre, comme l’a montré l’expérience de l’universal credit au Royaume-Uni. C’est pourquoi, nous devons avancer avec prudence et détermination sur cette réforme qui sera un chantier pour toute la mandature.
Mais la réforme de la solidarité à la source n’est pas l’unique outil de lutte contre le non recours. Car si elle nous permettra d’aller chercher les personnes déjà connues de la sphère publique ou déjà familière des outils numériques, notre lutte contre le non recours ne doit laisser personne de côté. En effet :
- D’une part, les expériences étrangères, mais aussi l’action du Défenseur des droits, nous montrent qu’il faut faire attention à l’apparition d’une nouvelle forme de non-recours liée à la fracture numérique ;
- D’autre part, et cela a été dit ce matin, une part importante du non recours, qu’il est difficile de mesurer, est le fait de personnes qui ne sont pas connues des administrations et donc non enregistrées dans les bases de données qui alimenteront la solidarité à la source.
C’est pourquoi, en complément et sans attendre, je souhaite porter des actions de proximité pour l’accès aux droits, fondées sur la mobilisation des acteurs locaux. C’est le sens de l’expérimentation Territoires zéro non recours que nous lancerons au début de l’année dans 10 territoires. Cette expérimentation, prévue dans la loi 3DS, se déploiera dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt et s’inspirera de ce qui se fait déjà depuis plusieurs années dans des territoires pionniers (à Paris, à Vénissieux, ou à Bastia par exemple).
Concrètement, cela se traduira par un engagement résolu et coordonné de tous les acteurs locaux (collectivités, associations, organismes de sécurité sociale) au service du combat pour l’accès aux droits grâce à des actions hors les murs, une meilleure information du public et la détection des publics fragiles.
Là encore, je n’ai la prétention de partir d’une page blanche, des actions innovantes sont déjà menées dans de les territoires et je veux m’en inspirer.
Enfin, pour aller plus loin encore, je souhaite renforcer la connaissance que nos concitoyens ont de notre système de solidarités. Comme vous avez pu l’évoquer aujourd’hui, le manque de connaissance des prestations de solidarités est une cause connue de non recours et les travaux de la Drees nous montrent que les Français ont une connaissance très variable des prestations. Deux chiffres à titre d’exemple : seulement 62 % d’entre eux avaient une connaissance du dispositif de minimum vieillesse en 2020 ; et seuls 39 % ont une connaissance précise du RSA. Il faut donc faire en sorte que notre système soit mieux connu de tous : avec plus de communication à destination du grand public, avec des outils de simulation permettant à tout un chacun de tester son éligibilité à un vaste ensemble de prestations. Des outils en ce sens existent déjà, comme le portail national des droits sociaux, mais j’entends les renforcer et leur donner plus de visibilité, pour atteindre un nombre plus large de nos concitoyens.
L’ensemble de ces actions visant à lutter contre le non recours aux prestations sociales seront pilotées par le ministère dont j’ai la responsabilité. Mais je souhaite que ces réformes soient construites avec les acteurs de terrain et les personnes concernées. C’est pourquoi j’installerai en début d’année 2023 un comité des parties prenantes pour l’accès aux droits, qui rassemblera sous ma présidence les associations d’élus, des associations de lutte contre la pauvreté, les organismes de sécurité sociale, les directions d’administration centrale ainsi que des personnes concernées. En lien étroit avec les instances de suivi du Pacte des solidarités, ce comité aura vocation à se réunir régulièrement pour suivre l’avancement des différents chantiers de lutte contre le non recours et formuler des avis sur les orientations adoptées.
Pour conclure, je voudrais revenir à l’échelle de l’Europe. L’accès aux droits et la lutte contre le non-recours constituent désormais l’un des axes stratégiques du Conseil de l’Europe dans le cadre de recommandations sur les revenus minima adéquats. Nous avons d’ailleurs tout particulièrement porté et soutenu ce sujet durant la présidence française de l’Union européenne. Je me réjouis donc que la France soit un fer de lance de la question de la lutte contre le non recours, et vous pouvez compter sur mon plein engagement pour que notre pays ait significativement progressé au terme de cette mandature sur le chemin d’une garantie à chaque citoyen d’accès à ses droits.
Je vous remercie.