Note sur le projet de loi « Pour le plein emploi » par Nicolas Duvoux

Professeur de sociologie à l’Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis et président du CNLE

Publié le | Temps de lecture : 20 minutes

Note sur le projet de loi Pour le plein emploi | Nicolas Duvoux | Juillet 2023

Le nouveau président du CNLE, Nicolas Duvoux, prend position à titre personnel, sur le projet de loi pour le plein emploi, dans une note qui a vocation à rappeler un certain nombre de principes, dans le cadre des débats parlementaires.
Cette note s’appuie sur les travaux du CNLE et a fait l’objet d’une large consultation, notamment auprès de membres des groupes de travail « Accompagnement et insertion » et « Sanctions » du CNLE. 
Pour rappel, le gouvernement a présenté le 7 juin 2023 en conseil des ministres, un projet de loi « pour le plein emploi » portant réforme de Pôle Emploi et du Revenu de Solidarité Active (RSA). Le texte modifié a été adopté par le Sénat dans la nuit du 11 au 12 juillet 2023. Il sera examiné par l’Assemblée nationale à la rentrée.

Le gouvernement a présenté le 7 juin 2023 au conseil des ministres un projet de loi « pour le plein emploi » portant réforme de Pôle Emploi et du Revenu de Solidarité Active. Le texte modifié a été adopté par le Sénat dans la nuit du 11 au 12 juillet 2023. Il sera examiné par l’Assemblée nationale à la rentrée. Cette réforme et la création annoncée de l’opérateur « France Travail » entrent en plein dans le champ de compétences et le périmètre d’avis et de conseil du CNLE. Celui-ci a d’ailleurs reçu le ministre de l’Autonomie, des Solidarités et des Personnes handicapées Jean-Christophe Combe le 12 janvier et le Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises Thibault Guilluy le 9 mars. Le CNLE avait précédemment produit un avis sur l’accompagnement vers l’insertion sociale et professionnelle et travaille sur la question des sanctions via un groupe installé le 14 mars 2023 et devant rendre ses conclusions à l’automne.

Dans son avis sur l’accompagnement et l’insertion publié en février 2022, le CNLE avait formulé deux recommandations d’ordre général : « rendre l’accompagnement effectif et universel sur tout le territoire » ; « réaffirmer la légitimité de la politique d’insertion comme composante à part entière du système de protection sociale ». Le CNLE soutient donc un renforcement de l’accompagnement dans l’intérêt des personnes en tant que droit à l’accompagnement pour l’insertion sociale et professionnelle, et non comme une condition d’accès au droit à l’allocation du Revenu de Solidarité Active ni une contrepartie à celui-ci.

A la lumière de ces recommandations de principe, la présente note a vocation à souligner les enjeux du projet de loi « pour le plein emploi » en matière de lutte contre la pauvreté avant son examen par le Parlement. Elle aborde le contenu de ce projet à partir de trois axes, celui des principes (a), celui des moyens dédiés à un renforcement de l’accompagnement (b) et celui de la cohérence de l’action gouvernementale en matière d’accès aux droits (c). L’unification des modes d’accompagnement et le renforcement des sanctions envisagés doit être mis en regard, de manière plus systématique que cela n’est envisagé, avec l’hétérogénéité des publics concernés d’une part et donc avec la réalité des situations (y compris individuelles), contraintes et incapacités rencontrées par nombre des allocataires de minima sociaux d’autre part. Ce dernier point a été fortement affirmé mais nécessite des clarifications : il en va de l’existence d’un authentique accompagnement universel, effectif sur tout le territoire, articulant les modalités professionnelles et sociales de l’insertion. L’unification de la gouvernance ne doit pas conduire à une homogénéisation des attentes vis-à-vis des publics, qui serait préjudiciable à la prise en compte de leurs spécificités et de leurs attentes.

Principes

Au-delà de la création de France Travail et des attendus du projet de loi sur le plein emploi, le non-recours au Revenu de Solidarité Active constitue à ce jour un problème qui doit être traité en priorité. Lié à différents facteurs qui ne peuvent être réduits à des déterminants individuels, mais qui se rapportent également à l’environnement social, institutionnel, administratif et matériel dans lequel les droits sociaux sont délivrés, le taux de non-recours au RSA (un tiers des ménages éligibles au RSA ne le demandent pas et un cinquième est en situation de non-recours de manière durable selon la DREES) mine la légitimité du système de protection sociale et constitue un phénomène d’une ampleur telle qu’il nécessite une action volontariste et multidimensionnelle, passant par une amélioration décisive de la qualité et de l’accessibilité des services de droit commun, un meilleur accès à l’information, à la lutte contre la stigmatisation mais aussi par un redéploiement d’une présence physique des services publics d’une offre institutionnelle généraliste.

Au regard de la cohérence de l’action publique en matière de lutte contre la pauvreté, le CNLE exprime sa préoccupation par rapport à certaines orientations du projet de loi. Le renforcement de l’accompagnement et des moyens qui lui sont dédiés, notamment dans la prise en compte des freins périphériques à l’emploi, vont dans la bonne direction, notamment en ce qui concerne les modalités visant à garantir l’accueil du jeune enfant mais, malheureusement, il n’est pas quantitativement établi, en raison de l’aspect expérimental et pluriannuel de nombre de dispositions. Il est souhaitable que le débat parlementaire qui s’ouvrira le 6 juillet 2023 puisse lever ces incertitudes, pour renforcer l’accès au droit à un accompagnement universel et effectif sur tout le territoire.

Droits et devoirs

Dans un contexte où la responsabilité des individus est invoquée et leur absence de mobilisation individuelle considérée comme un facteur de leur entrée et surtout de leur maintien hors de l’emploi, il est important de réaffirmer la responsabilité de la collectivité en général et des collectivités chargées de la mise en oeuvre des politiques d’insertion à proposer une offre d’accompagnement adaptée à toutes les personnes en particulier. Cette responsabilité collective n’exclut pas la prise en compte de la responsabilité des personnes mais elle la précède logiquement et en importance. La responsabilité collective à proposer un accompagnement adapté précède et rend possible la mobilisation des personnes. La « philosophie » des droits et devoirs implique des devoirs non seulement pour les individus, mais aussi, et peut-être d’abord, pour les collectivités. Parmi ces devoirs il y a l’obligation pour ces collectivités d’apporter les moyens adaptés pour l’accompagnement et l’insertion. Sans imputer la responsabilité de ce chiffre aux seules collectivités, pas plus d’ailleurs qu’aux seuls bénéficiaires, le rapport de la Cour des comptes sur le RSA paru en 2022 indique que 60% des allocataires du RSA soumis aux droits et devoirs ne disposent pas de contrat d’accompagnement social.

Les devoirs de la collectivité concernent de larges pans des politiques publiques puisque la question des freins à l’emploi pose celles du logement, des transports, des modes de garde, etc. Pour être efficace et crédible, l’accompagnement doit être non seulement un suivi adapté aux personnes (écoute, soutien, etc.), mais aussi proposer des solutions crédibles. Ceci est vrai également pour les professionnels qui peuvent se décourager lorsqu’ils n’ont pas d’offres à proposer. Il faut passer d’une approche procédurale (on aurait un dispositif d’orientation et d’accompagnement qui fonctionnerait puisque les taux correspondants seraient satisfaisants à une approche substantielle (ce qu’on offre et met en oeuvre effectivement, avec des résultats qui ne soient pas appréhendés principalement/exclusivement en termes de taux de sortie vers l’emploi).

L’esprit de la loi du 1er décembre 1988 portant création du Revenu Minimum d’Insertion soulignait, de manière non équivoque, le fait que l’obligation d’insertion était conçue comme un second droit qui complétait et renforçait le droit à une prestation monétaire et non comme une contrepartie.

L’obligation d’insertion était d’abord pensée non comme un contrat au sens juridique (synallagmatique) mais comme un engagement des collectivités vis-à-vis d’elles-mêmes. La réciprocité des droits et devoirs est inscrite dans la loi de 2008 généralisant le RSA et réformant les politiques d’insertion. Depuis, cette évolution n’a pas, et loin de là, permis un accès effectif et universel à l’accompagnement sur tout le territoire. L’attachement au principe de l’engagement réciproque doit être réaffirmé, celui-ci permet de faire droit aux capacités des personnes et peut répondre, sous certaines conditions, à des attentes de reconnaissance. La demande de réciprocité dans l’assistance est une demande d’équité et permet d’inscrire ces prestations dans un véritable contrat social. La question qui se pose est celle-ci de la proportionnalité des contributions et de l’importance, pour les pouvoirs publics, de mettre les efforts d’insertion sociale et professionnelle légitimement demandés aux allocataires en cohérence avec les engagements de la collectivité et les capacités des personnes.

L’asymétrie de la relation entre la collectivité et les allocataires des prestations engage la première à proposer une offre d’accompagnement adaptée et non à conditionner l’accès au droit à des comportements ou actions de la part des allocataires, à rebours de la tendance à l’activation qui s’est affirmée et dont le projet de loi « plein emploi » porte la marque. La loi du 1er décembre 1988 qui avait mis en place le RMI avait déjà, tout en consacrant un droit à l’aide à l’insertion, lié ce droit à une démarche active du bénéficiaire. Comme l’indiquait son exposé des motifs, elle entendait « obtenir des bénéficiaires un engagement qui assure leur implication effective dans la démarche de réinsertion qui leur sera proposée. » Aujourd’hui, l’article L. 262-27 du Code de l’Action Sociale et des Familles stipule que le bénéficiaire du RSA a « droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins » mais l’article 262-28 précise, en contrepoint, qu’il est « tenu », lorsqu’il est sans emploi ou ne bénéficie que de revenus professionnels très faibles, de rechercher un emploi ou d’entreprendre des actions nécessaires à une meilleure insertion professionnelle. Dans une tendance déjà ancienne, l’affirmation d’une telle contrepartie a de manière plus ou moins subreptice déplacé le curseur du contrat du second droit à l’accompagnement vers l’affirmation de la contrepartie et à la conditionnalité. Cette dynamique ne devrait pas être renforcée et, a minima, être corrigée par l’expression et le respect des souhaits des personnes.
La diversité ne concerne pas seulement les personnes et leurs trajectoires, mais aussi les logiques mêmes selon lesquelles des dispositifs comme le RSA fonctionnent : pour certains allocataires (âgés, mais pas assez pour bénéficier d’une pension, en mauvaise santé, mais pas assez pour relever de l’Allocation Adulte Handicapé, etc.) ces prestations jouent de fait le rôle de revenu minimum d’existence et d’attente pour l’accès à d’autres droits ; pour d’autres qui occupent des emplois à très faible durée, elles sont des formes de complément salarial et la question est ici celle des conditions d’emploi et de travail ; enfin, elles jouent le rôle d’allocation chômage pour les personnes non éligibles au régime d’indemnisation. Sur ce dernier point, l’approche à travers l’accompagnement doit être diversifiée et soutenue pour répondre effectivement aux besoins des personnes.

Dans une logique de droit commun et non discriminatoire, le contrat prévu entre la collectivité ou l’opérateur d’une part et l’allocataire d’autre part doit prendre pleinement en compte les souhaits et la parole des personnes. En l’absence de formalisation juridique de ce contrat, l’échange doit pouvoir faire droit aux attentes et aspirations éventuelles des bénéficiaires du RSA en termes de qualité de l’emploi et le droit à la formation permettant d’y accéder. De manière générale, la parole des personnes concernées doit être prise en compte à chaque étape du processus d’accompagnement. C’est une condition de sa crédibilité et de son efficacité.

Sanctions

Cette « philosophie » des droits et des devoirs est à la source de l’organisation des conditions des sanctions. C’est la raison pour laquelle dans les aspects de la réforme consacrés aux sanctions, un équilibre entre la prise en compte de la mobilisation individuelle d’une part mais aussi des contraintes endogènes (niveau d’emploi, difficultés de mobilité, de mode de garde, contraintes de la vie quotidienne, incapacités, problèmes de santé) doivent systématiquement être prises en compte d’autre part. D’un point de vue plus global, l’appréciation de la situation du marché du travail par un indicateur quasi unique (le taux de chômage BIT à 5%) semble ne pas tenir compte du halo du chômage qui correspond à des emplois précaires impliquant une instabilité chronique des situations professionnelles et budgétaires d’une part, des différenciations territoriales très importantes dans le taux de chômage d’autre part.

Il est légitime d’exprimer une préoccupation vis-à-vis de la tendance au renforcement des contrôles et sanctions pour les allocataires de minima sociaux et par rapport à la potentialité de renforcement de celles-ci dans le projet de loi. L’allocation ou minima social auquel l’allocataire a droit n’est pas la « contrepartie » d’une prestation de travail dont il serait le débiteur. La création de la « sanction-remobilisation », présentée comme un niveau intermédiaire de sanction vis-à-vis des allocataires n’ayant pas rempli leurs obligations aura toutefois des effets de déstabilisation importants sur les conditions de vie. Appliquée sans discernement quant aux conditions matérielles d’existence ou à l’état de capacité psychique, physique et matérielle des allocataires, elle pourrait les fragiliser au lieu de renforcer la dynamique d’accompagnement et d’insertion souhaitable et contribuer au non-recours au RSA, par ailleurs combattu par le gouvernement. Les sanctions sont définies par la réglementation administrative et produisent des effets sur les conditions de vie des ménages concernés, les allocataires eux-mêmes et leurs ayants-droit, en particulier leurs enfants. Cela peut avoir pour effet de faire passer les personnes du droit à un minimum social à l’accès à des secours d’urgence ou des soutiens associatifs de dernier recours.

L’application des sanctions doit être soumise au respect du droit des personnes, du point de vue de leur notification, information, respect des procédures et droits divers de recours. L’une des conditions de la légitimité et donc de l’acceptabilité d’un système de sanction est la publicité : tout un chacun doit être informé des risques et être averti d’une sanction en temps et en heure. Les allocataires de minima sociaux doivent connaître le fonctionnement du système de sanctions, et notamment la manière dont elles sont décidées, appliquées, et perçues, ainsi que les recours à leur disposition. Cette information ne peut sans doute pas être exclusivement diffusé par voie écrite. Elle doit pouvoir être expliquée en référence à la situation précise de la personne et prendre en compte un droit à l’erreur.

L’automaticité des sanctions pose potentiellement problème. Il en va de même, en amont des sanctions, de l’automaticité des contrôles, imposée pour des motifs technologiques, produise trop souvent des atteintes au traitement impartial des allocataires ; il invite à réfléchir à l’attribution des scores qui conduisent, de fait, à un ciblage des contrôles ayant des effets discriminatoires. Il s’associe ainsi à une alerte formulée par la Défenseure des droits : celui-ci a attiré l’attention sur les enjeux inhérents à l’élaboration des algorithmes présidant aux contrôles des allocataires de prestations sociales. Ces algorithmes ont un effet de déréalisation des situations, complexes et mouvantes. Cette instabilité contribue au désajustement avec la réglementation sociale qui exige, au contraire, stabilité et prévisibilité.

En effet, les sanctions ont des effets de déstabilisation profonde sur les conditions de vie des allocataires et leurs familles. Les témoignages des membres du 5e collège du CNLE attestent de la difficulté de se conformer aux attentes administratives et la violence avec laquelle les sanctions et les recouvrements d’indus, qui s’apparentent à une « sanction de fait », sont vécus. L’absence ou la diminution des ressources liée aux sanctions pénalise l’ensemble des membres du ménage, notamment les enfants à charge, qui pâtissent de l’écart entre les demandes et exigences des administrations et organismes de contrôle et de sanction d’une part, les ressources indispensables à la mise en conformité avec celles-ci des populations concernées d’autre part.

Il est possible et souhaitable d’équilibrer un texte mettant l’accent sur les sanctions, fût-ce par une « sanction-remobilisation » de moins grande sévérité que la radiation, par l’introduction de la notion de « reste à vivre » dans la loi, correspondant à l’inscription dans le droit d’un « socle inaliénable », non saisissable applicable au RSA quelle que soit la composition du ménage. Une telle mesure existe dans le droit de la consommation, à travers le solde bancaire insaisissable (SBI). Contrairement à d’autres revenus, qu’ils soient issus d’activité ou de prestations, les allocations familiales ne sont pas saisissables, de même que le RSA, sauf pour le recouvrement des indus. Au nom de la dignité humaine, des garanties de revenus doivent être apportées par la collectivité et ce quelles que soient les circonstances et comportements individuels. A plusieurs reprises dans son histoire, le CNLE a pris position pour la mise en oeuvre d’un tel socle, notamment en cas de récupération d’indus, qui fragilisent les ménages et constitue un obstacle à leur mobilisation, y compris dans des démarches d’accès et de retour à l’emploi.

D’après les articles 1302-1 et 1302-2 du Code civil, la définition synthétique de l’indu est le cas où une personne a exécuté une prestation à laquelle elle n’était pas tenue. L’exécution de cette prestation a fait naître, à l’encontre de celui qui a ainsi reçu ce qui ne lui était pas dû, l’obligation de le répéter, c’est-à-dire de le restituer au moyen de l’action en répétition de l’indu. Autrement dit, un organisme a versé une prestation à un allocataire qui n’aurait pas dû en bénéficier parce qu’il ne remplit pas les conditions d’octroi. Le marqueur essentiel à retenir est la non-prise en compte de l’élément intentionnel, à savoir le comportement de l’individu.

Lorsqu’un bénéficiaire du RSA perçoit l’APL, la CAF a la possibilité de procéder au recouvrement de l’indu du RSA sur le montant de l’APL, alors qu’il ne s’agit pas de la même prestation. La loi de financement de la sécurité sociale de 2009 a introduit cette notion de fongibilité, soit le fait de recouvrer l’indu d’une prestation sur une autre prestation. L’exposé des motifs de la loi indiquait que l’objectif de la fongibilité était de mettre fin à une incohérence du dispositif actuel, dans lequel des allocations continuent d’être versées alors que des sommes sont réclamées simultanément au même bénéficiaire, mais au titre d’autres prestations. Le CNLE recommande de saisir l’occasion du cheminement démocratique de la réforme portant création de France Travail pour revenir sur l’insertion du RSA dans la fongibilité de la récupération sur indus. Depuis de nombreuses années, et, notamment à l’occasion de la réforme du RSA, le CNLE a critiqué la mise en oeuvre du principe excessif de ce qu’on a appelé « fongibilité » dans un avis sur les décrets d’application de la loi du 1er décembre 2008 relative à la généralisation du revenu de solidarité active et à la réforme des politiques d’insertion. Ces prises de position sont toujours valides.

Moyens

Avec la création de l’opérateur France Travail, le projet de loi annonce une généralisation de l’accompagnement vers l’insertion professionnelle des allocataires du RSA. Le CNLE invite à prendre en compte l’hétérogénéité des publics. Le projet de loi fait référence au Contrat d’Engagement pour les Jeunes (CEJ) pour concevoir les droits et devoirs de l’ensemble de la population concernée par la réforme. Or, une différence majeure entre les jeunes concernés jusqu’à aujourd’hui par le CEJ et la population concernée par la réforme est l’absence de référence au droit à un revenu, déconnecté de toute contrepartie, pour cette catégorie de la population par rapport aux allocataires du RSA. La transposition et la généralisation de la logique du CEJ ne saurait méconnaître cette différence. A rebours, la transposition du CEJ invite à interroger l’absence, dans le projet de loi, d’une mention de l’ouverture d’un droit au revenu des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Malgré les progrès réalisés, l’absence d’un tel droit contribue à la fragilisation des segments les plus défavorisés et contribue aux trajectoires d’errance, délétères aux individus eux-mêmes en même temps que coûteuse pour la collectivité qui ne peut se satisfaire de ces situations évitables. En cas de généralisation de la logique d’accompagnement développée dans le CEJ à des catégories bénéficiant d’un droit à un revenu, l’asymétrie défavorable aux jeunes apparaîtrait problématique.

Montant alloué au renforcement de l’accompagnement

De manière plus générale, une clarification relative aux moyens dédiés au renforcement de l’accompagnement est importante. Ces moyens relèvent de l’ingénierie d’accompagnement, le financement des structures et des personnels dédiés, mais aussi des garanties quant à l’homogénéité sur le territoire des efforts permettant aux allocataires de se voir proposer un accompagnement adapté.

Hétérogénéité des populations et différenciation de l’accompagnement

Dans la mise en oeuvre de cet accompagnement renforcé, les caractéristiques des personnes concernées par l’accompagnement doivent être prises en compte, et notamment leur éloignement du marché du travail, dans la conception et la mise en oeuvre d’un accompagnement renforcé. En effet, la recherche de mise en relation avec le marché du travail ne saurait s’effectuer au détriment de la prise en compte des caractéristiques de la population et de l’importance des freins qui limitent les capacités effectives des populations. Nul n’est inemployable et la logique de développement des Entreprises à But d’Emploi, par exemple dans l’expérimentation Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée, fait ressortir l’importance de concevoir l’emploi en fonction des besoins des personnes et non d’adapter les personnes à l’emploi.

D’après la DREES, près d’un tiers des allocataires du RSA déclarent des restrictions d’activité. Plus d’un tiers des allocataires du RSA sont en état de « détresse psychologique » et un effort en matière d’accompagnement dans le domaine de la santé mentale constitue la réponse la plus adaptée à ces déclarations alarmantes. A la prise en compte de cette hétérogénéité des publics et de l’ampleur de leurs difficultés, il faut bien sûr ajouter les éléments structurels et contextuels : la prévalence du chômage dans certains territoires reste très forte, malgré l’amélioration récente du marché du travail. L’insertion professionnelle des allocataires du RSA dépend d’abord de ces facteurs structurels et contextuels, parmi lesquels les discriminations à l’embauche doivent être adressées à la hauteur de ce que les connaissances démontrent.

Cette hétérogénéité des publics concernés par la réforme appelle une différenciation des attentes institutionnelles et la mobilisation d’une pluralité d’intervenants. Il faut prendre acte de deux messages d’importance majeure délivrés par la Cour des comptes dans son évaluation récente du RSA.

L’offre d’accompagnement est insuffisante et hétérogène :

« Alors que le contrat d’engagements réciproques (CER) est supposé être l’outil central de l’accompagnement social et la condition de son suivi, seuls 50 % des bénéficiaires du RSA orientés vers ce type de parcours en disposent effectivement. Si la signature initiale intervient en 53 jours en moyenne, le contrat est ensuite peu suivi puisque seules 20 % des personnes disposent d’un contrat en cours de validité. » (synthèse du rapport, p.22)

Si le service public de l’emploi structure davantage les étapes initiales de l’accompagnement que les Départements, le contenu de celui-ci est problématique à plusieurs titres, au regard de sa densité, mais aussi de l’adéquation aux besoins :

« Les bénéficiaires du RSA bénéficient peu de la différenciation des moyens mis en place par l’opérateur : ils sont presque 70 % dans les types d’accompagnement les moins intensifs (contre 77 % pour la moyenne des demandeurs d’emploi), tandis que les prestations et formations sont rares, même en accompagnement dit « renforcé », avec 0,6 prestation par an en moyenne. Paradoxalement, au sein d’un même type d’accompagnement, les bénéficiaires du RSA ont moins d’entretiens avec leur conseiller référent que les autres demandeurs d’emploi (-17 % à -24 %). Les droits et devoirs attachés au RSA ne sont pas suivis, à la différence du contrôle de la recherche d’emploi lié à l’assurance chômage. » (synthèse du rapport, p.24)

L’orientation systématique vers le service public de l’emploi risque de ne pas pouvoir répondre aux besoins effectifs des allocataires :

« Cette situation soulève le problème de l’adéquation entre les besoins des personnes et les réponses apportées. De fait, Pôle emploi constate qu’une part significative des personnes orientées vers ses agences n’est en réalité pas préparée à l’emploi et justifierait plutôt d’un accompagnement social. » (synthèse du rapport, p.22)

Au vu de ces conclusions suite à l’évaluation du RSA par la Cour des comptes, la plus grande vigilance vis-à-vis d’une orientation systématique des allocataires dans des démarches d’accès et de retour à l’emploi doit être recommandée, pour des raisons d’adéquation aux besoins et aux attentes des allocataires, mais aussi de cohérence avec les pratiques effectivement constatées de l’opérateur du service public de l’emploi en matière d’accompagnement des allocataires du RSA. Le premier risque identifié est celui d’une sélection adverse, préjudiciable en matière d’équité dans l’allocation des ressources, les moins dotés et les plus éloignés de l’emploi étant défavorisés par une orientation plus affirmée vers l’accès et la reprise d’emploi. Le second risque identifié est celui d’un renforcement et non d’un comblement de l’écart entre l’offre proposée et les besoins d’accompagnement effectif objectivés et exprimés par les personnes concernées. Ce second risque s’applique a fortiori au regard de l’activation des personnes en situation de handicap envisagée dans le projet de loi : la qualité de l’emploi et la question des rémunérations des personnes en situation de handicap constituant des éléments de réflexion et d’adaptation nécessaires au projet de loi.

Cohérence

En parallèle de la réforme dont l’examen par le Parlement est imminent, le gouvernement travaille à une politique de lutte contre le non-recours ambitieuse, passant par deux canaux principaux, l’automatisation de l’accès au droit par la mise en place de la Solidarité à la Source d’une part, l’expérimentation des Territoires Zéro-Non Recours d’autre part, ayant vocation à développer l’aller-vers les populations et à stimuler les partenariats entre institutions pour faciliter l’accès aux droits des populations.

Il faut affirmer un soutien à cette démarche volontariste de lutte contre le non-recours, dont il a été rappelé qu’il était, à ce jour, un problème majeur d’efficacité mais aussi de légitimité de la protection sociale, tant au niveau de la prestation que de l’accompagnement puisque la faiblesse quantitative et qualitative de celui-ci, objectivée par la Cour des comptes dans son rapport, peut être requalifiée de non-recours par non-proposition, ce qui a l’avantage de mettre l’accent sur l’environnement institutionnel plutôt que sur les caractéristiques individuelles des non-recourants. Pour conclure, deux éléments invitant à la cohérence de l’action gouvernementale peuvent être soulignés.

Le renforcement des sanctions risque de contribuer au non-recours.

Comme démontré dans un article récent portant sur des expérimentations locales, le développement des sanctions freine l’accès au droit.

La dématérialisation des démarches requiert un accès à internet et de détenir une adresse électronique et un ordinateur.

L’illectronisme et le manque de connaissances informatiques constituent un véritable obstacle. La dématérialisation d’un ensemble de démarches administratives constitue un obstacle à l’accès effectif au droit comme rapporté par la Défenseure des droits. Elle pénalise les populations les plus défavorisées et contribue à leur éloignement des institutions.