Innov’action : le podcast qui décrypte l'innovation publique

Publié le | Temps de lecture : 21 minutes

Les ministères sociaux ont lancé une série de podcasts à l’occasion du mois de l’innovation publique : Innov’Action. Cette initiative vise à valoriser les projets novateurs pour améliorer les politiques publiques et les services aux citoyens. Découvrez deux épisodes dédiés à des actions inspirantes menées dans le cadre de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés et du soutien à la parentalité

Depuis novembre 2024, le podcast Innov’Action met en lumière des initiatives novatrices pour moderniser les services publics au regard des défis sociétaux actuels. Chaque épisode explore une politique ou une méthode innovante menées en lien direct avec les acteurs de terrain et les personnes concernées. 

Anne Gades et Sylvie Chokroun, designers de politiques publiques au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), se prêtent au jeu des questions-réponses pour deux épisodes consacrés au soutien à la parentalité à distance et à la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Au sein de la mission innovation de la DGCS, elles développent des méthodes d'innovation dans l'évaluation, l'amélioration et la conception des politiques publiques sociales. La consultation des personnes concernées pour tester un dispositif ou le concevoir est au cœur de leur démarche.

Évaluer les dispositifs de soutien à la parentalité à distance

La crise du Covid a faire naître de nouveaux besoins pour les familles, parfois en grande difficulté face au stress et aux défis des confinements successifs. C’est dans ce contexte qu’ont été créées des lignes téléphoniques dédiées au soutien à la parentalité. La fin de la crise sanitaire a par la suite soulevé des questionnements quant au maintien de ces lignes ou leur remplacement par d’autres formes de soutien.

L’épisode Réinventer le soutien parental : l’impact des dispositifs à distance aborde la réflexion autour de ces questions et la méthode qui a permis d’évaluer l’efficacité et la pertinence de ces dispositifs destinés aux familles.  

Journaliste : Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode d'Innov'Action, le podcast qui met à l'honneur l'innovation publique. L'innovation qui prend toutes les formes, toutes les couleurs et toutes les directions, dont celle de la parentalité. La direction générale de la cohésion sociale, aka la DGCS pour les intimes, a à cœur d'accompagner au mieux les personnes qui souhaitent un soutien et un suivi dans leur mission de parent par le biais de plusieurs dispositifs et notamment à distance. C'est précisément le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Pour en parler avec nous au micro d'Innov'Action Anna Gades et Sylvie Chokroun. Bonjour à toutes les deux.

Sylvie Choukroun : Bonjour Marie.

Anna Gades : Bonjour Marie.

Journaliste : Alors pour commencer, est ce que vous voulez bien vous présenter et nous en dire un peu plus sur vos missions au sein de la DGCS ?

Sylvie Chokroun: Alors Sylvie Chokroun, je suis designer de politiques publiques au sein de la mission Innovation de la DGCS. 

Anna Gades : Et donc à Anna Gades. Je suis également designer des politiques publiques au sein de la mission Innovation de la DGCS et donc je travaille en binôme avec Sylvie.

Journaliste : En général, quand on parle design, on a autre chose en tête. Alors comment être designer peut servir à la cohésion sociale et bien sûr servir les bénéficiaires des services et aides de l’État ? Anna ? 

Anna Gades : Le but du design des politiques publiques, c'est bien de faire en sorte que les décisions politiques qui sont prises ne soient pas prises directement dans nos bureaux au sein des ministères, prennent bien en compte les besoins du terrain et les besoins des personnes qui sont directement concernés par les politiques.

Journaliste : Alors justement, parmi les personnes qui sont directement concernées, il y a les parents. La parentalité, c'est un vaste sujet. Comment l'accompagner sans faire d’ingérence ? Comment conseiller sans s’immiscer ? Où commence et où s'arrête le rôle d'une institution comme la vôtre dans l'accompagnement des citoyens ?

Sylvie Chokroun : Le soutien à la parentalité pour la DGCS vise à accompagner les parents dans leur rôle de premiers éducateurs de leur enfant. Notamment par des actions d'écoute, de soutien, de conseils et d'informations, mais aussi de favoriser l'entraide, l'écoute et l'échange entre parents.

Journaliste : Du coup, quels sont les outils qui sont actuellement à disposition des parents et surtout, comment sont-ils apparus ?

Anna Gades : À l'heure actuelle, il existe de nombreux dispositifs d'accompagnement des parents. Mais pour ce projet, on a fait un focus sur le soutien à la parentalité à distance. Et donc pour vous donner un petit peu de contexte, en fait sur ce soutien à la parentalité à distance ; lors de la pandémie de Covid-19 en France et donc lors des confinements successifs qu'on a connus, cette situation de confinement a pu créer en fait au sein des familles, un grand bouleversement. Puisque ça a créé des situations de stress sans précédent pour les familles. À la fois par rapport au télétravail, à l'école à la maison. Ça a créé de l'isolement social et aussi de l'anxiété liée à la santé directement. Et pour répondre à ces nouveaux besoins, qui étaient liés à cette crise sanitaire, l'État a choisi de venir développer et de renforcer en fait les lignes téléphonique dédiées au soutien à la parentalité à distance. Donc l'objectif, c'était vraiment de venir soutenir les parents face au défi du confinement, mais aussi de prévenir l'épuisement parental et notamment les violences familiales qui peuvent en découler. Et de conseiller les parents sur la gestion du stress, sur l'organisation du quotidien, l'éducation à domicile, etc.

Journaliste : Ces lignes téléphoniques, soyons clairs : Monsieur et Madame Tout le monde pouvait décrocher son téléphone et composer le numéro. Qui trouvaient-ils ou elles au bout du fil ?

Anna Gades : Concernant ces lignes téléphoniques, en termes d'interlocuteur, ça pouvait être très diversifié. On peut avoir affaire à un travailleur social, on peut avoir affaire à un psychologue, en fonction du besoin et de la raison pour laquelle on va appeler la ligne.

Journaliste : On parle donc d'un soutien à la parentalité à distance. Quels sont ses avantages ?

Sylvie Chokroun : Lors de ce projet, nous avons identifié plusieurs raisons soulignant l'importance de ce soutien à la parentalité à distance. Déjà une accessibilité accrue pour les familles qui habitent loin des services physiques et qui ne peuvent pas ou qui ont des horaires qui ne sont pas compatibles. La possibilité d'un anonymat en ligne. Une flexibilité aussi dans le rythme des échanges, et puis une adaptation rapide aux situations de crise comme il y a eu notamment pour la Covid. Et effectivement, ça ne remet pas en cause l'importance de maintenir une complémentarité avec les services physiques en place. Donc pour répondre aussi aux besoins très situés des familles.

Journaliste : La crise sanitaire est donc depuis quelques années derrière nous. Il y a donc eu très vite un questionnement sur la pérennisation ou non de dispositifs qui avaient été mis en place sous une situation exceptionnelle. Comment est-ce qu'on peut quantifier et déterminer les besoins et les usages des citoyens ?

Anna Gades : Alors effectivement, ce qui a lancé en fait l'appui de la mission innovation sur ce sujet, c'est justement une question en fait du cabinet ministériel qui avait pour volonté de venir voir dans quelle mesure toutes les lignes téléphoniques qui avaient été lancées lors de ce confinement étaient nécessaires et devaient être pérennisées. Donc, est ce qu'il y avait vraiment un besoin de la part des parents de continuer à utiliser ces lignes ou est-ce qu'on pouvait en fait peut être penser une ligne générale, une sorte de hub du soutien à la parentalité à distance. Et donc, nous, en tant que mission innovation, notre rôle, ça a été de mettre en place une approche usager et de venir justement essayer de voir dans quelle mesure est-ce que les besoins directs des parents, des professionnels, des travailleurs sociaux raisonnaient ou pas avec la stratégie qui était envisagée par le cabinet ?

Journaliste : Donc une enquête a été effectuée. Les acteurs de la chaîne du soutien à la parentalité ont été interrogés. C'était nécessaire pour avoir une vue d’ensemble ?

Sylvie Chokroun : Oui, tout à fait. C'était crucial pour obtenir une vision globale, bien que non exhaustive. Ce qui était intéressant, c'était d'avoir une approche multi-acteurs au-delà des seuls bénéficiaires. On est allé interroger des opérateurs de lignes téléphoniques, des acteurs de terrain institutionnels et travailleurs sociaux, les parents eux-mêmes, évidemment. Et puis on a diversifié les méthodes de collecte ; à travers des questionnaires, par exemple pour les opérateurs en ligne, des ateliers de co-construction et des entretiens semi-directifs avec les parents. L'objectif principal de cette démarche, c'était de mieux comprendre les besoins des parents en matière de soutien à la parentalité à distance, mais aussi d'impliquer divers acteurs du soutien à la parentalité à distance aussi. Finalement, d'enrichir la vision par des retours directs des usagers.

Journaliste : Tout ça a été fait notamment sous forme de sessions de travail. Est-ce qu'elles ont permis ces sessions de rassembler des éléments pour guider une éventuelle décision future concernant cette politique publique ?

Anna Gades : En effet, ça a permis à la fois de révéler, de rendre compte de la complexité de ce sujet, du soutien à la parentalité à distance. Et d'ailleurs, comme l'a souligné un travailleur social lors de notre de notre enquête, on ne peut pas faire des réponses simples sur des questions qui sont très complexes. Donc l'idée initiale de rassembler ces lignes téléphoniques en un sorte de hub généraliste a été vraiment remise en question pendant cette enquête. Puisqu'en fait la diversité des lignes téléphoniques existantes a vraiment été valorisée à la fois par les parents, à la fois par les travailleurs sociaux, parce qu'elle permet d'offrir un accompagnement précis adapté aux diverses situations que peut vivre un parent. Il y a des lignes qui sont spécialisées dans le deuil, des lignes qui sont spécialisées dans le soutien de parents qui ont des enfants suicidaires. Il y a de l'assistance aux familles d'enfants en situation de handicap. Et justement, cette spécialisation, elle permet aux parents d'être en contact avec des experts de la situation que vit le parent au moment où il appelle. Et donc l'idée d'une ligne unique, ça a même été jugée potentiellement problématique. Puisque lors de l'atelier, on nous a dit : concrètement, le parent va appeler en fait un numéro et ça va être « Si vous venez de perdre votre enfant, tapez un. Si vous avez un enfant en situation de handicap, tapez deux. » Et ce n'est juste pas envisageable vu la difficulté et la complexité des situations que peuvent vivre les parents. Donc l'impact principal de ces sessions, ça nous a vraiment permis de mettre en lumière en fait la valeur de cette diversité et la valeur de la spécialisation, du soutien de la parentalité à distance. On a collecté des informations qui étaient essentielles et qui ont été synthétisées dans une note qui était justement destinée aux cabinets ministériels et qui a permis à terme de guider des futures décisions sur la politique de soutien à la parentalité à distance.

Journaliste : Si on devait retenir une idée et une seule Anna ; concernant le soutien à la parentalité à distance, ce serait quoi ?

Anna Gades : Ce qui est pertinent dans ce sujet, c'est justement de se dire que l'innovation, ça ne permet pas forcément de seulement de produire des projets, mais ça permet aussi lorsqu'elle est injectée en fait dans un projet au bon moment. Et lorsqu'on peut questionner la commande, de justement se poser la question est-ce que cette idée de hub c'était une bonne idée ? Et là, en l'occurrence, on est venu se rendre compte sur le terrain que non, ce n'était pas une bonne idée. Et donc ça a permis de limiter aussi d'injecter de l'argent dans un projet de hub général et national qui aurait sûrement coûté des millions à l'État, et du coup de gagner en efficacité et de faire des solutions ou de ne pas faire des solutions qui n'auraient pas marché.

Journaliste : Et bien merci beaucoup mesdames !

Anna Gades : Merci Marie.

Sylvie Chokroun : Merci Marie.

Journaliste : À très bientôt. Voilà, c'est la fin de cet épisode qui nous a appris qu'un soutien physique de proximité allié à un soutien à distance, c'est ça agir en innovant pour être au plus près des citoyens et en l'occurrence des parents. Merci beaucoup d'avoir été avec nous pour cet épisode. On se retrouve très vite pour un prochain. Très bonne journée à tous.

Communiquer autrement sur la réforme de l‘allocation aux adultes handicapés (AAH)

Depuis le 1er octobre 2023, la réforme de l’AAH a modifié le mode de calcul de l’allocation des bénéficiaires en couple pour favoriser l’autonomie des personnes en situation de handicap. Un changement structurel nécessite une information claire et une pédagogie adaptée afin d’être bien compris par les bénéficiaires. 

L’épisode Déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) : la parole des bénéficiaires et de leurs aidants aborde la méthodologie mise en œuvre pour adapter les messages aux personnes concernées par l‘AAH et s’assurer de leur bonne réception. L’implication des bénéficiaires mais également des parties prenantes a été un facteur clé de réussite. 

Journaliste : Bonjour à tous ! Bienvenue dans ce nouvel épisode d'Innov’Action, le podcast dédié aux acteurs des ministères sociaux. Oui, l'innovation est partout au cœur de nos ministères et notamment du côté de la DGCS, qui, pour accompagner au mieux les bénéficiaires de l'AAH, a décidé de demander leur avis aux premiers concernés. Depuis le 1ᵉʳ octobre 2023, le versement de l'AAH a connu une réforme. Cette réforme change le mode de calcul de l'allocation pour les bénéficiaires en couple. Elle favorise l'autonomie des personnes handicapées. Une réforme qu'il a donc fallu expliquer. Comment ? Par quel biais ? Avec qui ? Pour en parler, je reçois Anna Gardes et Sylvie Chokroun. Bonjour à toutes les deux.

Anna Gardes et Sylvie Chokroun : Bonjour. Bonjour.

Journaliste : Avant de commencer, j'aimerais, s'il vous plaît, que vous vous présentiez auprès de nos auditeurs. Qui êtes-vous ? Que faites-vous ?

Anna Gardes : Donc je suis Anna Gardes. Je suis designer des politiques publiques au sein de la mission innovation de la DGCS, donc direction générale de la cohésion sociale et je travaille en binôme avec Sylvie. 

Sylvie Chokroun : Et moi, je suis Sylvie Chokroun, designer de politiques publiques également, le binôme d'Ana au sein de la mission innovation de la DGCS.

Journaliste : On va même aller un petit peu plus loin : « designer ». Alors moi je pense à tout autre chose. C'est quoi ce métier ?

Anna Gardes : Alors le métier de designer, effectivement, peut surprendre au sein d'une administration, mais notre rôle, c'est vraiment de mettre en place l'approche usager, donc la consultation des personnes concernées par un dispositif et donc d'améliorer une politique publique ou bien de la concevoir directement avec les personnes.

Journaliste : Un petit mot sur la mission qui est la vôtre ? 

Sylvie Chokroun : Alors la mission innovation de la DGCS, elle a été créée en 2021 pour renforcer la place de l'innovation sociale et publique au sein de la direction. On y développe des méthodes d'innovation dans l'évaluation, l'amélioration et la conception des politiques publiques sociales.

Journaliste : Alors on parlait justement de la AAH, en français : « allocation aux adultes handicapés ». Le mode de calcul de versement a changé. En octobre 2023, il y a eu une réforme. Est-ce que vous pouvez nous donner un rapide contexte dans lequel cette réforme a été a été proposée ? Elle a vu le jour et surtout, en quoi elle consiste ? Qu'est-ce que ça change concrètement pour les bénéficiaires ?

Anna Gardes : Donc effectivement, l'allocation aux adultes handicapés, donc l’AAH, c'est une prestation sociale qui permet d'assurer un minimum de ressources aux personnes qui sont en situation de handicap. Avant la réforme sur laquelle on a travaillé, le calcul du montant de l'AAH prenait en compte les revenus du conjoint et de la personne concernée par cette aide. Donc ce moyen de calcul, ça pouvait créer une situation de dépendance financière pour la personne en situation de handicap au sein du couple, puisque son aide et le montant de son aide dépendait de la situation de son foyer. Donc, pour revenir un peu sur le contexte, cette situation, justement, cette manière de calculer l’AAH, ça a suscité une forte mobilisation de la part des associations, de la part des personnes directement en situation de handicap et de la part des familles aussi, puisque ça ne venait pas permettre l'autonomisation des personnes qui étaient déjà en situation de handicap. Et donc, face à ces demandes, le Gouvernement a annoncé la réforme de déconjugalisation de l'adulte handicapé. Donc le fait de ne plus considérer dans le calcul de cette aide les revenus du conjoint ou de la conjointe.

Journaliste : Bien : gros changement structurel. Alors justement, quel est l'enjeu de l'information et de la pédagogie lors de ce genre de changement, particulièrement auprès des personnes, même en situation de handicap ?

Sylvie Chokroun : Effectivement, l'information et la pédagogie sont cruciales lors d'un changement structurel comme celui-ci. Il faut s'assurer que les bénéficiaires comprennent bien leurs nouveaux droits et les démarches à effectuer. Par exemple, comprendre si leur situation personnelle est concernée par la réforme. Identifier les potentiels changements de montants de leur allocation ou alors anticiper les impacts sur leur budget familial ou même savoir vers qui se tourner en cas de question. Donc une communication mal comprise ou insuffisante peut aussi entraîner une surcharge significative des structures d'accueil et d'accompagnement, créant un effet boule de neige préjudiciable pour tous. Les CAF ou les MDPH (maison départementale des personnes handicapées) par exemple, qui sont déjà fortement sollicitées, pourraient avoir des délais de traitement qui vont s'allonger ou ralentir le traitement des dossiers.

Journaliste : Alors justement, une fois ces enjeux pris en compte, quelle a été votre idée pour communiquer et pour trouver la manière la plus efficace de pouvoir donner de l'information aux bénéficiaires ? 

Anna Gardes : Alors justement, étant donné cet enjeu de taille dans la communication autour de cette réforme, on a décidé d'appliquer directement les méthodologies que nous, on applique en interne, donc les méthodologies de design des politiques publiques, et d'aller se renseigner auprès des personnes directement concernées par la réforme. Ici, les personnes bénéficiaires de l'AAH, mais aussi, on le verra plus tard, plutôt les parties prenantes de cette allocation.

Journaliste : Et c'est comme ça que l'Atelier design en territoires est né. Racontez-nous : en quoi a consisté cette démarche ? Comment ? Comment tout ça est né ?

Sylvie Chokroun : Alors le but de cet atelier, c'était de concevoir le premier courrier qui serait envoyé aux bénéficiaires en couple qui leur expliquait la réforme de la déconjugalisation de l'AAH. Pour cet atelier, nous avons conçu et réalisé une quinzaine de prototypes qui étaient très divers. Et en définitive, cet atelier design en territoire nous a aussi permis d'aborder plus largement des enjeux de communication autour de la réforme.

Anna Gardes : Donc, concernant ces prototypes explicatifs de la réforme de déconjugalisation, l'idée a été vraiment de trouver différentes typologies de manière d'expliquer la réforme. C'est allé de la vidéo explicative avec une personne qui venait signer en LSF (langue des signe française), ensuite un schéma explicatif, mais aussi des plaquettes, des plaquettes informatives de la réforme et un courrier un petit peu plus institutionnel qui venait expliquer la réforme avec un langage très classique de l'administration. 

Journaliste : L'idée a été de tester ces supports, savoir lesquels étaient les plus efficaces et les plus agréables, de les tester bien évidemment auprès des bénéficiaires de l'AAH, mais pas seulement…

Sylvie Chokroun : Exactement. Des tests rapides ont été menés lors des différents ateliers pour recueillir les retours à chaud sur les supports explicatifs de la réforme. Et surtout, on a favorisé une diversité des participants. C'était vraiment au cœur de notre démarche. On avait des bénéficiaires de l'AAH, vivant en couple, on avait des accompagnants de ces bénéficiaires et des agents institutionnels. Et toutes ces parties prenantes ont été impliquées dans ces tests. L'idée, c'était de garantir une pluralité de points de vue et puis aussi d'assurer une représentativité maximale des différentes situations rencontrées sur le terrain. Cette méthodologie de test rapide a permis de recueillir des réactions spontanées et de croiser les perspectives justement de ces différents acteurs, tout en identifiant rapidement des points de friction potentiels. Et donc ça permet de favoriser l'implication directe des usagers. Et, au final, d'assurer une mise en œuvre plus efficace du dispositif de communication sur cette déconjugalisation de l'AAH.

Journaliste : On parlait de points de friction et justement j'y viens puisqu'on n'est pas là pour parler uniquement des choses qui sont réjouissantes. Y a-t-il des choses dont vous étiez persuadées qu'elles étaient de bonnes idées au départ et qui se sont finalement révélées peu efficaces ?

Anna Gardes : Effectivement, la plupart des prototypes qu'on a conçus se sont révélés assez inefficaces. Et c'est justement l'intérêt de cette méthodologie-là, c'est qu'on se rend compte directement des fausses bonnes idées. Pour vous donner un exemple concret, on avait une très bonne idée qui est très utilisée par la communication au sein du ministère, ce sont les vrais ou faux. Donc concrètement, on va dire la déconjugalisation va baisser mon allocation. Et bien non, c'est faux puisqu'on va permettre un calcul différencié, etc. Concrètement, c'est une manière de communiquer qui est très classique. Nous on s'est dit c'est une super bonne idée pour l’AAH, parce que c'est très simple à comprendre et ça permet de savoir concrètement ce qui va se passer. Et en fait, lorsqu'on a présenté ce vrai ou faux aux bénéficiaires notamment, il y a des personnes qui nous ont expliqué qu'en fait elles étaient aveugles, évidemment, et qu'elles ont une synthèse vocale. Alors, concrètement, quand on a une synthèse vocale qui vient lire les phrases, la synthèse nous dit « la déconjugalisation va me faire perdre de l'argent ». C'est une phrase qui est positive, qui est tournée positivement. Donc on a toute cette explication qui est donnée à l'affirmative et ensuite on a faux. Et donc ça veut dire qu'on doit se rappeler en fait de ce qui a été dit juste avant. Ça demande une gymnastique cognitive assez importante. Typiquement, pour les personnes qui étaient malvoyantes ou aveugles ou non-voyante, c'était pas du tout envisageable d'avoir ce type de dispositif et ce type d'explication de la réforme pour les personnes aussi qui sont en situation de handicap mental. C'était très compliqué et ça amenait une certaine dissonance cognitive d'avoir une affirmation qui était donnée positivement et finalement qui était négative et qui était fausse. Donc voilà, ça nous a surpris, mais finalement c'était très intéressant de savoir qu'en fait, pour ce public-là, ce n'était pas la bonne manière de communiquer.

Journaliste : Est ce qu'il y a pu y avoir des différences d'appréciation entre les bénéficiaires ou accompagnants et les institutionnels sur un support en particulier ?

Anna Gardes : En effet, comme l'expliquait Sylvie tout à l'heure lors de cet atelier, on a différencié en fait les personnes qui étaient bénéficiaires ou aidantes et les personnes qui faisaient plutôt partie de l'institution et du côté administratif de l'AAH. Il est arrivé qu'il y ait de grandes différences d'appréciation entre les différents acteurs par rapport à un prototype. Ça peut s'expliquer parce que les aidants par exemple, ou les familles des personnes et des bénéficiaires, peuvent avoir tendance à surprotéger les personnes en situation de handicap parce qu'ils sont animés par un fort désir de venir protéger la personne. De venir faciliter l'information. De venir peut-être la prédigérer. Et en fait, notamment avec un exemple de schéma qu'on avait réalisé parmi ces prototypes, qui était un schéma explicatif qui permettait de vraiment décomposer très précisément toutes les étapes de la déconjugalisation. Quand on l'a présentée aux bénéficiaires de l'AAH qui étaient directement concernés, ils ont trouvé passionnant de vraiment comprendre tous les rouages de cette déconjugalisation, ce qui allait vraiment se passer pour eux. Ça leur semblait fondamental de vraiment comprendre les détails de ce qui allait se passer pour eux, pour leur aide. Ils ont trouvé ça passionnant de savoir exactement ce qui allait se passer pour eux. Et au contraire, lorsqu'on a présenté le même dispositif et le même prototype auprès des aidants et des institutionnels, il s'est passé l'exact opposé. Les personnes nous ont dit : « Mais vous allez perdre les personnes. C'est trop alambiqué, c'est trop complexe, ça amène trop de spécificités et de détails administratifs et on va juste perdre les personnes. » C'était intéressant de se rendre compte qu'en fonction de l'endroit où on se place et de la posture qu'on a en tant que professionnel ou en tant que personne, on ne va pas du tout avoir le même regard sur un prototype. Et du coup, ça nous a permis aussi d'orienter différemment le prototype en fonction de son usage. Si c'est un prototype qui est destiné à un administratif qui va pouvoir être utilisé, il sera potentiellement utilisé différemment. Qui sera utilisé par un bénéficiaire uniquement.

Journaliste : On en a déjà un petit peu parlé tout à l'heure avec le vrai ou faux, mais sur les quinze prototypes de supports qui ont été présentés ou testés, il y en a certains qui ont tout bonnement été abandonnés ou alors entièrement revus ? 

Sylvie Chokroun : Sur les quinze prototypes qui ont été pensés, conçus et testés, il en est resté trois qui ont été fournis à la communication. Des fois, ça a été un petit mix de deux ou trois idées, mais trois. Et à l'heure actuelle, vous pouvez les consulter. Il y a la plaquette d'explication de la réforme, une plaquette en FALC (facile à lire et à comprendre) et également une vidéo explicative sur la réforme.

Journaliste : Aujourd'hui, c'est un succès. Cette réforme d'octobre 2023 sur le recalcul de l'AAH a été plutôt bien accueillie. Ce n'est pas toujours le cas. Alors bravo ! Bravo à vous, designers qui avez œuvré dans ce sens. Quel a été, j'allais dire, le secret de la réussite de ce projet ?

Anna Gardes : Alors le secret de la réussite, je ne sais pas, mais en tous cas, ce qui a participé, c'est bien la consultation des personnes concernées directement, pas juste des bénéficiaires de l'AAH qui étaient évidemment la cible la plus importante, mais aussi de tous les maillons de cette déconjugalisation. Et le fait de confronter ces prototypes à la fois aux personnes concernées et aux personnes qui auront à mobiliser et à mettre en place cette réforme, c'est vraiment ça qui nous a permis d'avoir un recueil de la compréhension et des besoins de compréhension sur cette réforme.

Journaliste : Et bien merci beaucoup mesdames.

Anna Gardes et Sylvie Chokroun : Merci, merci ! 

Journaliste : Voilà, c'est la fin de cet épisode d'innovation qui nous aura montré que demander l'avis des personnes concernées, c'est en général une excellente idée. N'hésitez pas à aller écouter les autres épisodes. En attendant, je vous dis à très bientôt et très belle journée à tous.

Un regard privilégié sur l’innovation dans le monde des ministères sociaux

Le podcast s’adresse à toutes et tous, que vous soyez acteur du secteur public, un citoyen curieux ou un passionné par les enjeux de transformation des services publics. Retrouvez les thématiques suivantes :

  • Réinventer le soutien parental : l’impact des dispositifs à distance avec Anne Gades et Sylvie Chokroun de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
  • Déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) : la parole des bénéficiaires et de leurs aidants avec Anne Gades et Sylvie Chokroun de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
  • Insertion professionnelle des parcours décousus, avec Bilan Barzagli de la délégation générale à l'emploi et la formation professionnelle (DGEFP) et Jean-Christophe Vidal de l'association Konexio.
  • Mon espace santé : une révolution des usages numériques en santé, avec Hela Ghariani de la délégation au numérique en santé (DNS).

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