Compte rendu de la conférence « Santé mentale des jeunes : un défi collectif vers une société engagée »

Lundi 20 octobre

Publié le | Temps de lecture : 9 minutes

Dans le cadre du cycle de conférences et ciné-débats « Enfance en débat », s'est tenue la conférence Santé mentale des jeunes : un défi collectif vers une société engagée lundi 20 octobre au ministère de la Santé, des Familles, de l'Autonomie et des Personnes handicapées. Voici le compte-rendu de l'événement.

Constat global

La conférence a permis de dresser un constat partagé : la santé mentale des enfants, des adolescents et des jeunes adultes s’est significativement dégradée au cours des dernières années. Si la crise sanitaire liée au Covid-19 a agi comme un catalyseur, elle n’a fait qu’exacerber des fragilités préexistantes.

Les intervenants ont souligné la multiplicité des déterminants de cette dégradation : pressions scolaires accrues, insécurité affective et sociale, violences intrafamiliales, isolement numérique, crises géopolitiques et écologiques anxiogènes. À cela s’ajoute une inadéquation persistante entre les besoins croissants et l’offre de soins disponible, malgré des efforts budgétaires et structurels notables.

Un consensus émerge sur la nécessité d’une approche transversale et coordonnée de la santé mentale des jeunes, associant l’ensemble des acteurs – santé, éducation, protection de l’enfance, justice, société civile – et intégrant pleinement les familles et les jeunes eux-mêmes dans les stratégies d’action.

Interventions par acteur 

Franck Bellivier – Délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie

« Malgré les investissements, le ressenti reste identique : une inadéquation entre l’offre et les besoins. Il faut continuer à en faire une priorité nationale »

Franck Bellivier a posé les bases du débat en distinguant deux niveaux d’analyse :

  • Les indicateurs de population générale, issus notamment du dispositif CoviPrev, qui témoignent d’une dégradation durable de la santé mentale depuis la pandémie ;
  • Les indicateurs de population clinique, observés via les services d’urgence et SOS Médecins, qui montrent une hausse continue des décompensations anxieuses, suicidaires et des troubles du comportement alimentaire.

Il a rappelé les avancées significatives de la feuille de route Santé mentale et psychiatrie, déployée depuis 2019 et enrichie à la suite des Assises de la santé mentale (2021) :

  • couverture nationale des Maisons des Adolescents, renforcées de 5,5 millions d’euros ;
  • +42 % d’augmentation du budget de la psychiatrie entre 2019 et 2024 ;
  • plus de 300 projets soutenus dans le cadre d’appels à projets dédiés ;
  • +70 % de postes de psychologues en CMP enfants et adolescents entre 2020 et 2023 ;
  • diminution des délais de premiers rendez-vous.

Il souligne toutefois que le ressenti d’une inadéquation entre offre et besoins persiste, en partie en raison de la hausse structurelle des troubles psychiques et d’une parole plus libérée. Pour lui, cela justifie de poursuivre et d’intensifier les efforts engagés.

Enfin, il a conclu sur la nécessité de renforcer la coordination des dispositifs et de concevoir des politiques publiques globales agissant sur l’ensemble des déterminants de la santé mentale.

Marie-Rose Moro – Cheffe de service, Maison de Solenn

« Je vois à chaque étape de la vie de l’enfant, la possibilité d’agir davantage. »

La professeure Moro a recentré le débat sur l’expérience vécue des adolescents et l’importance du ressenti dans les parcours de soin. Elle décrit une « détresse constante », marquée par une augmentation notable des pensées suicidaires et des épisodes dépressifs sévères.

Face à la saturation des capacités d’hospitalisation, elle a annoncé l’ouverture d’une unité ambulatoire dédiée aux adolescents suicidaires, proposant des prises en charge hebdomadaires familiales et systémiques. Ce modèle illustre une adaptation nécessaire des dispositifs face à la montée des besoins.

Elle distingue deux dimensions majeures :

  • les vulnérabilités développementales et environnementales, liées aux conditions de vie, à la pression scolaire, au harcèlement et à la discontinuité éducative, qui appellent des réponses préventives dans les milieux de vie (école, famille, société) ;
  • la maladie psychique, qui doit être identifiée, diagnostiquée et traitée précocement pour éviter les aggravations.

Elle insiste sur le besoin d’intensifier les soins, de renforcer la prévention primaire et secondaire, et de soutenir davantage les parents et les enseignants confrontés à ces situations.

Pour elle, la santé mentale doit être abordée comme un processus dynamique, avec des points d’action possibles à chaque étape du développement de l’enfant.

Guillaume Bronssard – Chercheur et pédopsychiatre

« Il faut déplier la notion de jeunesse qui va mal. Ce n’est pas vrai de la même façon partout. »

Guillaume Bronssard invite à nuancer le discours généralisant sur « la jeunesse qui va mal ». Si les indicateurs globaux sont alarmants, ils masquent des disparités fortes. Les situations les plus préoccupantes concernent des publics déjà vulnérables : enfants maltraités, jeunes relevant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), ou mineurs suivis par la justice.

Il alerte sur la fragmentation entre les dispositifs de protection, de santé et de justice, qui conduit à l’exclusion des enfants dits « incasables ». Il plaide pour contraindre les champs institutionnels à coopérer, en démontrant que la coordination intersectorielle coûte moins cher et produit de meilleurs résultats.

Il rappelle enfin que la délinquance juvénile est souvent le symptôme d’une souffrance psychique non traitée, et appelle à un positionnement éthique, clinique et politique centré sur la prévention et la compréhension plutôt que la stigmatisation.

Jean-Marc Borello – Président du Groupe SOS

« Lorsqu’on traite la parole des enfants, les traumatismes sont moins profonds et on peut guérir plus facilement. »

Jean-Marc Borello a mis en lumière les failles structurelles de la réponse institutionnelle face à la souffrance des enfants pris en charge par l’ASE ou la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Selon lui, la principale difficulté réside dans la lenteur des temps de réponse et l’articulation complexe entre les départements, les parquets et les agences régionales de santé (ARS). Ces obstacles administratifs et réglementaires freinent l’innovation dans les pratiques éducatives et thérapeutiques.

Il appelle à faire confiance aux acteurs de terrain, à libérer leur capacité d’initiative et à simplifier les cadres d’intervention pour expérimenter de nouvelles approches.

Son propos s’est centré sur la valeur thérapeutique de la parole : écouter, reconnaître et valoriser la parole de l’enfant permet de prévenir les traumatismes et de favoriser la résilience.

Muriel Vidalenc – Directrice des Premiers secours en santé mentale France

« Former aux premiers secours en santé mentale, c’est apprendre à prendre soin des autres. »

Muriel Vidalenc a présenté la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM) comme un outil de transformation sociétale et de prévention primaire citoyenne. Inspiré du modèle australien, ce dispositif vise à former des citoyens capables de repérer les signaux faibles, d’écouter activement et d’orienter les personnes en souffrance vers les ressources adéquates.

Depuis sa création en France en 2018, le programme a connu une croissance exponentielle :

  • 800 secouristes formés en 2019 ;
  • Plus de 230 000 en 2025, dont 11 % de jeunes.

Le module a été déployé pour les adultes depuis 2019, et déployé aux adolescents dès 2021. 

Un module spécifique destiné aux adolescents en milieu scolaire sera expérimenté dès 2026, pour développer la pair-aidance et les compétences psychosociales dès le collège avec une formation pour les 5e, 4e et seconde. 

Elle souligne que cette approche, scientifiquement évaluée, contribue à changer le regard collectif sur la souffrance psychique et à rendre la société plus inclusive.

Jean-Baptiste Baudier – Directeur de Nightline France

« Qui mieux que ceux qui me ressemblent pour parler de ce qui me concerne ? »

Jean-Baptiste Baudier a exposé l’expérience de Nightline, une ligne d’écoute par et pour les étudiants.
Née d’une initiative étudiante en 2016, l’association repose sur un principe de pair-aidance : des jeunes formés écoutent d’autres jeunes, dans un cadre anonyme et bienveillant. Ce modèle communautaire, fondé sur la proximité générationnelle, permet de lever les freins à la parole et de répondre aux besoins d’écoute non médicalisée.

Aujourd’hui, Nightline compte 20 antennes et 50 salariés pour soutenir l’action de milliers d’étudiants bénévoles. En 2024, plus de 23 000 appels ont été reçus.

Jean-Baptiste Baudier plaide pour une reconnaissance institutionnelle de la pair-aidance et la création d’une commission des « 1000 premiers jours de la vie de jeune adulte » afin d’accompagner cette période cruciale d’autonomisation.

Conclusion du haut-commissariat à l’Enfance

Cette conférence confirme que la santé mentale des jeunes constitue un enjeu majeur de politique publique et un défi collectif. Les interventions ont mis en évidence la diversité des déterminants, la richesse des initiatives locales et la nécessité d’une meilleure coordination entre les acteurs.

Trois orientations prioritaires se dégagent pour l’action publique :

  • agir de manière systémique, en dépassant les cloisonnements entre santé, éducation, protection et justice ;
  • renforcer la prévention et la déstigmatisation, en développant des approches citoyennes et communautaires comme les Premiers secours en santé mentale et la pair-aidance ;
  • placer l’enfant et le jeune au centre, en garantissant une écoute effective de leur parole et une prise en charge adaptée à leurs besoins.

La santé mentale des jeunes ne relève pas du seul champ médical : elle interpelle la société tout entière. C’est dans cette optique que le haut-commissariat à l’Enfance réaffirme son engagement à travailler, aux côtés des acteurs publics et associatifs, à une stratégie nationale intégrée de promotion du bien-être et de la santé mentale des enfants et des adolescents.

Démonstrations

Julia Néel Biz, co-fondatrice (Teale)

Julia Néel Biz a présenté les résultats du baromètre Teale–IPSOS sur la santé mentale des étudiants, ainsi que les orientations d’action portées par la plateforme Teale.

Le baromètre révèle une fragilisation préoccupante de la santé mentale étudiante :

  • Seuls 45 % des étudiants se déclarent en bonne santé mentale.
  • 3 étudiants sur 5 présentent des signes de souffrance psychologique.
  • La violence dans le milieu étudiant est très présente : plus de 2 étudiants sur 5 déclarent en avoir été victimes, un taux encore plus élevé chez les femmes.
  • Les principales causes identifiées sont liées à l’actualité anxiogène (47 %) et à l’incertitude professionnelle (70 %).

Teale se positionne comme la première plateforme de prévention en santé mentale à impact mesurable, articulant responsabilité, éthique et innovation. L’entreprise a levé 12 millions d’euros pour développer des solutions personnalisées et durables, reposant sur la mesure d’impact comme critère central d’efficacité. 

L’objectif est de personnaliser l’accompagnement psychologique en tenant compte de la diversité des profils. L’application Teale associe intelligence humaine et artificielle pour offrir à chacun des ressources adaptées et accessibles, contribuant ainsi à démocratiser la prévention et à outiller les établissements d’enseignement supérieur dans leurs politiques de bien-être étudiant.

Anne-Claire de Pracomtal (IamStrong)

IamStrong est une structure d’accompagnement dédiée aux adolescents et jeunes adultes âgés de 12 à 25 ans. Elle propose un dispositif hybride, combinant les neurosciences, les nouvelles technologies et un suivi psychologique et de coaching en ligne.

Le programme s’articule autour de plusieurs modalités :

  • séances de coaching et de psychologie en ligne, adaptées aux besoins individuels ;
  • suivi continu via WhatsApp avec un coach référent, favorisant une présence régulière et un lien de confiance ;
  • approche pluridisciplinaire, grâce à une équipe de professionnels couvrant un large spectre de problématiques.

Les premiers résultats sont jugés positifs, notamment en matière de confiance en soi et de clarification des choix d’orientation. IamStrong se positionne ainsi comme un acteur innovant de la prévention et de l’accompagnement psychologique des jeunes, à l’intersection du numérique, de la santé mentale et du développement personnel.

Mathilde Charras, Camélia Kheiredine et Vanessa Vitu (Jardin Mental) 

Lancée à l’origine dans le cadre d’un appel à projets de l’ARS Île-de-France, « Jardin mental » est issue de l’initiative d’une psychologue souhaitant créer un outil d’accompagnement entre deux séances thérapeutiques.

Face à son potentiel, l’agence régionale de santé a décidé d’adapter et d’élargir l’application à la population générale, avec le soutien de la Fabrique numérique des ministères sociaux, qui en assure le développement selon une logique d’impact mesurable et d’amélioration continue (itération).

Aujourd’hui, l’application compte environ 3 000 utilisateurs actifs chaque mois. Elle permet à chacun de suivre et personnaliser sa santé mentale au quotidien, d’anticiper d’éventuelles crises, et d’être orienté vers les ressources adaptées : professionnels de santé, plateformes d’écoute ou sites d’information.

En somme, « Jardin mental » incarne une innovation numérique de prévention et d’autonomisation en santé mentale, alliant approche clinique, accessibilité et utilité publique.

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