Définitions et mesures du CNLE

Publié le Mis à jour le | Temps de lecture : 33 minutes

Retrouvez un dossier thématique des définitions et mesures du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE).

Évolution des taux de pauvreté, du seuil de pauvreté et du nombre de personnes pauvres depuis 1970

Seuil à 40 % Seuil à 50 % Seuil à 60 % Seuil à 70 %
  Nombre (en milliers) Taux (en %) Seuil (en €) Nombre (en milliers) Taux (en %) Seuil (en €) Nombre (en milliers) Taux (en %) Nombre (en milliers) Taux (en %)
2015*               14,3    
2014 2 269 3,6 840 5 032 8,1 1 008 8 760 14,1 13 692 22,0
2013 2 152 3,5 838 4 953 8,0 1 005 8 648 14,0 13 601 22,0
2012** 2 474 4,0 838 5 245 8,5 1 006 8 824 14,3 13 732 22,3
2012  2 267 3,7 834 4 977 8,1 1 001 8 540 13,9 13 505 22,0
2011 2 158 3,5 842 4 856 7,9 1 011 8 729 14,3 13 592 22,2
2010*** 2 087 3,4 842 4 677 7,7 1 010 8 520 14,0 13 424 22,0
2010 2 128 3,5 847 4 755 7,8 1 017 8 617 14,1 13 558 22,3
2009 2 023 3,3 852 4 507 7,5 1 022 8 173 13,5 12 968 21,4
2008 1 910 3,2 849 4 272 7,1 1 019 7 836 13,0 12 494 20,8
2007 1 855 3,1 835 4 281 7,2 1 002 8 035 13,4 12 873 21,5
2006 1 867 3,1 817 4 188 7,0 981 7 828 13,1 12 678 21,3
2005 1 917 3,2 805 4 270 7,2 966 7 766 13,1 12 462 21,0
2004 1 461 2,5 792 3 896 6,6 950 7 382 12,6 12 029 20,5
2003 1 493 2,6 796 4 078 7,0 955 7 578 13,0 12 232 21,0
2002 1 340 2,3 798 3 746 6,5 957 7 495 12,9 12 261 21,2
2001 1 507 2,6 778 3 984 6,9 934 7 757 13,4 12 610 21,7
2000 1 579 2,7 759 4 165 7,2 911 7 838 13,6 12 593 21,8
1999 1 540 2,7 746 4 109 7,2 895 7 745 13,5 12 535 21,9
1998 1 671 2,9 735 4 257 7,5 882 7 873 13,8 12 580 22,1
1997 2 007 3,5 720 4 433 7,8 864 8 042 14,2 12 709 22,4
1996 2 030 3,6 719 4 550 8,1 863 8 179 14,5 12 546 22,2
1990 nd nd 667 3 751 6,6 802 7 848 13,8 nd nd
1984 nd nd 626 4 154 7,7 752 7 235 13,5 nd nd
1979 nd nd 603 4 359 8,3 723 7 454 14,2 nd nd
1975 nd nd 523 5 194 10,2 627 8 491 16,6 nd nd
1970 nd nd 416 5 785 12,0 498 8 649 17,9 nd nd

Le seuil de pauvreté est définit en euro constant. En France métropolitaines, individus vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante. Source Insee.

* Estimation avancée par miscrosimulation

** L’enquête a été rénovée en 2012. D’une part, l’impôt déduit du revenu d’une année donnée est désormais l’impôt payé durant cette même année. Il peut donc être dû au titre des revenus de l’année précédente. Auparavant, c’était l’impôt payé au titre de l’année de perception des revenus et éventuellement payé l’année suivante qui était déduit. D’autre part, les majorations de pensions de retraite pour avoir élevé 3 enfants ou plus ainsi que l’avantage en nature constitué par la participation des employeurs aux contrats collectifs de complémentaire santé sont maintenant comptabilisés dans le revenu disponible mesuré par l’ERFS.

*** À partir de 2010, les estimations de revenus financiers mobilisent l’enquête Patrimoine 2010.

Définitions de la pauvreté

Approches de la notion de pauvreté relative

Le terme de pauvreté est employé quotidiennement sans que sa définition ne fasse pour autant consensus. La difficulté à trouver une définition satisfaisante réside dans le fait que le concept de pauvreté est spécifique à une époque et à une société données.

La pauvreté est l’état, la condition d’une personne qui manque de ressources, de moyens matériels pour mener une vie décente (Trésor de la langue française).

Selon le Conseil européen de décembre 1984, sont considérées comme pauvres les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans la société*.

La définition d’ATD Quart monde tente de traduire le vécu des personnes. L’association s’est donnée comme objectif de comprendre et faire connaître le point de vue des personnes et des populations en situation de grande pauvreté sur les réalités qu’elles vivent. Il s’agit avant tout de décrire ce que les personnes concernées vivent et ressentent, ainsi que les explications qu’elles-mêmes avancent.

De cette recherche associant les plus pauvres est née la définition qu’a proposée Joseph Wresinski au Conseil économique et social, en février 1987 : La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins grave et définitive. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible**.

Si la pauvreté ne saurait être une notion universelle, elle présente néanmoins des aspects objectifs.

Définitions de la pauvreté monétaire

Les États membres de l’Union européenne ont adopté une autre méthode de calcul, fondée sur des critères relatifs. Ils se sont mis d’accord sur un ensemble d’indicateurs, dits de Laeken (2001). Le seuil de pauvreté est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. Ainsi, le seuil de pauvreté européen est à présent fixé en-dessous de 60 % du revenu médian.

En France, selon l’Institut national de la statistique et des études économique (Insee) : Un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu’il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. La France utilise le seuil de 60 % du revenu médian, mais elle publie aussi des taux de pauvreté selon d’autres seuils (40 %, 50 % ou 70 %), conformément aux recommandations du rapport du Cnis (Conseil national de l’information statistique) Niveaux de vie et inégalités sociales de 2007.

Le taux de pauvreté au seuil de 60 % (respectivement 50 %) du revenu médian est mesuré par la proportion d’individus vivant dans un ménage ordinaire dont le revenu, net d’impôts directs, par unité de consommation est inférieur à un montant équivalent à 60 % (respectivement 50 %) du niveau de vie médian de la population. Le seuil de pauvreté est calculé par rapport à la médiane de la distribution des niveaux de vie (la moitié de la population dispose d’un niveau de vie supérieur à la médiane, l’autre moitié a un niveau inférieur à la médiane).

C’est pourquoi l’Onpes utilise un tableau de bord composé d’une vingtaine d’indicateurs en plus des indicateurs de pauvreté monétaire qui déterminent les personnes dont les niveaux de vie sont inférieurs à un montant donné dit seuil de pauvreté (60 % du revenu médian, référence européenne, et 50 % du revenu médian ancienne référence française).

Limites de l'approche monétaire

L’approche monétaire présente des limites puisqu’elle ne peut pas rendre compte de la pauvreté au moment donné : si le revenu médian augmente plus vite que le revenu des pauvres, alors la pauvreté augmente. De plus, elle ne peut pas rendre compte de la situation des plus pauvres parmi les pauvres; elle reste donc très limitée.

Comme il n’existe pas de catégories officielles permettant de distinguer les moins pauvres des plus pauvres, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation sur les conditions de vie (CREDOC) qualifie de ménages pauvres ceux du premier décile et de ménages modestes ceux des deuxième et troisième déciles. Il s’agit d’une mesure statistique restreinte au niveau de revenus des ménages.

Définition d'un décile

Quand on découpe la population nationale en tranches égales de 10 %, on obtient ce que l’on appelle des déciles. Si on la découpe en fonction du niveau de salaire, un décile est le niveau de salaire qui sépare chaque tranche, de 10 % en 10 %.

Ensuite, les déciles sont classés par ordre croissant. Le premier décile représente donc le niveau de salaire pour lequel 10 % de la population touche moins que ce niveau de salaire (90 % touche plus). Le deuxième décile représente le niveau de salaire pour lequel 20 % touchent moins que ce niveau (80 % touchent plus).

On peut donc se demander si l’approche monétaire est pertinente pour calculer la pauvreté. La tendance générale est de dire qu’elle est insuffisante et qu’il faut prendre en compte d’autres indicateurs comme les conditions de vie, l’accès aux droits, à la santé, au logement ou à la culture.

Dans son rapport 2007-2008***, l’Onpes rappelait déjà que la pauvreté est :

  • Conventionnelle puisqu’elle repose sur la définition de seuils et d’échelles d’équivalences décidés au niveau national et international ;
  • Un phénomène relatif puisqu’elle est définie par rapport à des « modes de vie acceptables », eux mêmes variables dans l’espace et dans le temps ;
  • C’est un phénomène multidimensionnel qui ne saurait se réduire à l’absence ou à la privation de ressources monétaires.

* Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, Les Travaux de l’Observatoire 2000, Chapitre 1, page 25

** Joseph Wresinski, Rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Journal officiel de la République française, séances des 10 et 11 février 1987 du Conseil économique et social

*** « Mesures et évolution de la pauvreté », Rapport 2007-2008, Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale

Mesures de la pauvreté monétaire en France

Indicateurs précoces de pauvreté pour l'année 2015

Les données présentées pour 2015 sont issues des indicateurs précoces de pauvreté, selon la méthode de la microsimulation. Présentés dans la publication Insee Analyses n°23, ces indicateurs ne sont pas un taux de pauvreté mesuré, mais permettent un meilleur suivi des politiques de lutte contre la pauvreté.

Selon ces prévisions, En 2015, le taux de pauvreté monétaire à 60 % du revenu médian s’élève à 14,3 % de la population (contre 14,1 % en 2014). L’année 2015 s’inscrit donc dans la progression tendancielle à la hausse de ces dernières années.

Pour aller plus loin :

Estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d'inégalités : Résultats expérimentaux pour 2015 sur le site insee.fr

Chiffres consolidés 2014

Le seuil de pauvreté monétaire à 60 % correspond à 1 008 € mensuels pour une personne seule. Le seuil de pauvreté monétaire à 50 % équivaut, lui, à 840 € mensuels. Le taux de pauvreté au seuil de 50 %, qui cible une population plus pauvre que le taux au seuil de 60 %, augmente de 0,1 point, passant de 8,0 % en 2013 à 8,1 % en 2014. L’intensité de la pauvreté* augmente donc sensiblement, passant de 19,8 % en 2013 à 20,1 % en 2014.

Le taux de pauvreté des chômeurs passe de 37,3 % en 2013 à 36,6 % en 2014. Cette baisse étant principalement due à une augmentation des allocations chômage percues. En effet, la montée en charge des emplois d’avenir fait baisser le nombre de chômeurs de moins de 25 ans ainsi les personnes au chômage sont en moyenne plus âgées en 2014 qu’en 2013. Celles-ci ont donc d’avantage cotisé avant d’entrer au chômage et étaient mieux rémunérées quand elles travaillaient.

Nombre de personnes vivant sous le seuil et taux de pauvreté selon le type de ménage en 2013

Nombre total d’individus
(en milliers)
Seuil à 60 % Seuil à 50 %
Nombre d’individus pauvres
(en milliers)
Taux de pauvreté
(en %)
Nombre d’individus pauvres
(en milliers)
Taux de pauvreté
(en %)
Ménages dont la personne de référence a moins de 65 ans
Personnes seules 5 759 1 059 18,4 737 12,8
Hommes inactifs 641 190 29,7 135 21,1
Hommes actifs 2 548 399 15,7 301 11,8
Femmes inactives 678 212 31,3 131 19,4
Femmes actives 1 892 257 13,6 169 8,9
Familles monoparentales 5 477 1 892 34,5 1 161 21,2
Pères 971 267 27,5 167 17,2
Mères inactives 967 642 66,4 462 47,8
Mères actives 3 539 984 27,8 533 15,0
Couples 36 441 4 253 11,7 2 410 6,6
Couples d’inactifs avec ou sans enfant 2 100 561 26,7 410 19,5
Homme inactif - femme active avec ou sans enfant 2 281 287 12,6 156 6,8
Homme actif - femme inactive sans enfant 1 175 145 12,3 84 7,2
Homme actif - femme inactive avec un enfant 1 027 227 22,1 127 12,4
Homme actif - femme inactive avec deux enfants 1 798 479 26,7 294 16,4
Homme actif - femme inactive avec trois enfants ou plus 2 316 896 38,7 479 20,7
Couples d’actifs sans enfant 4 647 225 4,8 148 3,2
Couples d’actifs avec un enfant 5 990 281 4,7 156 2,6
Couples d’actifs avec deux enfants 10 065 582 5,8 290 2,9
Couples d’actifs avec trois enfants ou plus 5 041 570 11,3 266 5,3
Ménages complexes 2 110 494 23,4 291 13,8
Total 49 787 7 698 15,5 4 600 9,2
Ménages dont la personne de référence a 65 ans et plus
Personnes seules 3 973 443 11,1 173 4,3
Couples 7 301 442 6,1 147 2,0
Autres (familles monoparentales et ménages complexes)* 889 65 7,3 33 3,7
Total 12 162 950 7,8 353 2,9
Ensemble 61 949 8 648 14,0 4 953 8,0

* L’intensité de la pauvreté est un indicateur qui permet d’apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. L’Insee mesure cet indicateur comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté.

Inclusion sociale

La notion d’inclusion sociale a été utilisée par le sociologue allemand Niklas Luhmann (1927-1998) pour caractériser les rapports entre les individus et les systèmes sociaux. L’inclusion sociale est considérée comme le contraire de l’exclusion sociale. Elle concerne les secteurs économiques, sociaux, culturels et politiques de la société*.

Inclusion active

L’inclusion concerne aussi bien l’Europe que chaque État membre.

La commission européenne donne une définition de l’inclusion active** : L’inclusion active consiste à permettre à chaque citoyen, y compris aux plus défavorisés, de participer pleinement à la société, et notamment d’exercer un emploi.

Concrètement, pour atteindre cet objectif, il faut :

  • Une aide au revenu adéquate ainsi qu’un soutien pour trouver un emploi, par exemple en établissant un lien entre les prestations octroyées aux inactifs et aux actifs, et en aidant les personnes à obtenir les avantages auxquels elles ont droit ;
  • Des marchés du travail ouverts à tous en facilitant l’entrée sur ces marchés, en s’attaquant à la pauvreté des travailleurs et en évitant le cercle vicieux de la pauvreté, ainsi que les facteurs décourageant le travail ;
  • Un accès à des services de qualité qui aident les citoyens à participer activement à la société, et notamment à revenir sur le marché du travail.

Pour la commission, « L’inclusion active vise à traiter différents problèmes : la pauvreté, l’exclusion sociale, la pauvreté des travailleurs, la segmentation des marchés du travail, le chômage de longue durée, les inégalités hommes-femmes ».

Consulter la définition de l'inclusion sociale du Toupictionnaire sur le site toupie.org

Consulter la définition de l'inclusion sociale de la Commission européenne sur le site ec.europa.eu

Exclusion sociale

L’expression exclusion sociale trouve son origine dans l’ouvrage de René Lenoir, Les Exclus, paru en 1974.

Dans les années 1960-1970, c’est un concept qui n’existe pas : on parle simplement de retrait social qui désigne une pauvreté essentiellement économique, en voie de disparition du fait de la croissance économique et des institutions de protection sociale. Depuis, la pauvreté est analysée de façon multidimensionnelle et l’exclusion sociale est mieux prise en compte.

Le concept d’exclusion sociale dépasse celui de pauvreté puisqu’il correspond à la non réalisation des droits sociaux de base garantis par la loi.

Pour le sociologue Robert Castel, dans son article Cadrer l’exclusion*, « Les exclus sont à l’aboutissement de trajectoires, et de trajectoires différentes. Il ne s’agit plus d’une pauvreté qu’on pourrait qualifier d’intemporelle ou de résiduelle, mais d’une pauvreté qui apparaît à la suite d’une dégradation par rapport à une situation antérieure ».

Robert Castel propose le terme de désaffiliation pour désigner « des trajectoires, des processus, des gens qui décrochent et basculent ». Ce basculement s’effectue, de manière schématique, entre différentes zones. Ainsi, Robert Castel distingue trois zones de la vie sociale :

  • Une zone d’intégration, dont font partie en général des personnes ayant un travail régulier et des supports de sociabilité suffisamment fermes ;
  • Une zone de vulnérabilité, regroupant les personnes ayant un travail précaire et des situations relationnelles instables ;
  • Une zone d’exclusion, dans laquelle certains des vulnérables, et même des intégrés basculent.

En insistant sur le caractère dynamique de l’exclusion, Robert Castel met en lumière l’intérêt de mener des politiques préventives pour éviter que les personnes ne basculent dans ces situations d’exclusion.

Mieux comprendre la notion d’exclusion à travers le prisme du droit est la méthode employée par Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République en 2007, qui parle d’exclusion du droit :

« Face à la multiplication et à la complexification des normes, se développent des comportements opposés porteurs d’un nouveau clivage social. Alors que certains individus, parfaitement informés, adoptent une stratégie de consommateurs de services publics et de droits, on assiste à un phénomène croissant de non-recours de la part de personnes éligibles qui ne sollicitent pas les prestations auxquelles elles pourraient prétendre. 

Les populations touchées par la pauvreté et l’exclusion apparaissent saisies par un droit qui ne leur est pas accessible. Le mythe d’une égalité dont la loi, à elle seule, serait une garantie suffisante, doit être dépassé. Redonner tout son sens à ce principe fondateur de notre pacte républicain passe de plus en plus par l’accès au droit. »

La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, en son article 1, « tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance ».

Un exclu est-il encore un citoyen ?

Juridiquement, un citoyen français jouit de droits civils et politiques et s’acquitte d’obligations envers la société. Le citoyen détient donc une qualité particulière qui lui permet de prendre part à la vie publique. Le citoyen possède différents types de droits :

  • Des droits civils et des libertés essentielles : droit de se marier, d’être propriétaire ; droit à la sûreté, à l’égalité devant la loi, devant la justice et dans l’accès aux emplois publics ; liberté de pensée, d’opinion et d’expression, de religion, de circulation, de réunion, d’association ou de manifestation ;
  • Des droits politiques : droit de voter, de se présenter à une élection, droit de concourir à la formation de la loi par la voie des représentants (députés) qu’il élit (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789) ;
  • Des droits sociaux : droit au travail, droit de grève, droit à l’éducation, à la Sécurité sociale.

Le citoyen doit aussi remplir des obligations : respecter les lois, participer à la dépense publique en payant ses impôts, participer à la défense du pays etc.

Seuls les droits politiques sont spécifiquement liés à la citoyenneté française. En effet, un étranger bénéficie des autres droits et libertés fondamentaux, comme les droits sociaux, et doit s’acquitter aussi d’obligations

Citoyenneté et exclusion

Un exclu est toujours un citoyen au sens juridique du terme, puisque toute personne majeure ayant la nationalité française est un citoyen français. C’est [en effet] la citoyenneté sociale, liée au développement de l’État-providence, qui est remise en cause par le développement de la pauvreté et des différentes formes d’exclusion.

Les démocraties sont fondées sur l’égalité de tous les citoyens, mais l’affirmation des principes républicains qui confèrent des droits semble en contradiction avec l’application concrète de ces droits. Ainsi, le droit d’obtenir un emploi, affirmé par le préambule de la constitution de 1946, paraît difficile à mettre en œuvre en période de crise économique et de chômage.

Les personnes qui connaissent la pauvreté, qui sont au chômage et exclues de la sphère d’intégration que constitue le travail peuvent-elles et sont-elles considérées par les autres comme de véritables citoyens ? L’égalité politique et juridique ne suffit pas à fonder le lien social. L’action de l’État-providence en faveur de la réduction des inégalités sociales doit alors être envisagée comme une condition et une conséquence de l’affirmation de l’égalité des citoyens et de l’exercice concret de la citoyenneté. » **

*Dans L’Exclusion, définir pour en finir, sous la direction de Saül Karsz, 2004

**Consulter la rubrique citoyenneté sur le site vie-publique.fr

Insertion sociale, intégration sociale

L’Index international et dictionnaire de la réadaptation et de l’intégration sociale (IIDRIS) définit l’insertion sociale comme une action visant à faire évoluer un individu isolé ou marginal vers une situation caractérisée par des échanges satisfaisants avec son environnement ; c’est également le résultat de cette action, qui s’évalue par la nature et la densité des échanges entre un individu et son environnement.

Pour le dictionnaire suisse de politique sociale*, « L’insertion se réfère à l’ensemble des actions destinées à pallier la menace que ces transformations [les mutations socio-économiques actuelles] font peser sur l’intégration sociale.

Cette dernière notion, souvent confondue avec l’insertion, est plus ancienne et repose sur une définition sociologique précise. Un groupe, ou une société, est intégré quand ses membres se sentent liés les uns aux autres par des valeurs, des objectifs communs, le sentiment de participer à un même ensemble sans cesse renforcé par des interactions régulières (cf. E. Durkheim**). L’intégration sociale est donc une propriété collective et l’insertion, dans ce contexte, se réfère à la participation au niveau individuel à un système social intégré.

Le terme d’insertion désigne par conséquent à la fois un but et un moyen. C’est, d’une part, le résultat des mécanismes d’intégration, tels la socialisation, par lesquels chaque individu tout au long de sa vie assimile les éléments lui permettant d’occuper une place dans les échanges sociaux. Dans notre société, l’axe le plus intégrateur autour duquel se cristallise l’insertion est le travail.

D’autre part, l’insertion désigne les interventions menées au moyen de dispositifs publiques (dans le cadre, par exemple, de l’aide aux chômeurs ou de l’aide sociale) auprès de populations dont la situation d’exclusion est révélatrice de défaillances des mécanismes d’intégration. Ces interventions consistent, au niveau individuel, en une stratégie de discrimination positive (cf. R. Castel***) visant à renforcer les processus de socialisation et le développement des liens sociaux afin de rattraper la distance par rapport à une intégration accomplie (en favorisant par exemple le retour de chômeurs « en fin de droit » sur le marché du travail ou dans l’assurance-chômage).

Mais l’insertion a aussi une portée sociétale pour se réaliser, dans la mesure où une insertion passe nécessairement par l’aménagement de conditions propres à assurer un accueil des personnes (mises) en marge.

Les dispositifs d’insertion récemment instaurés (cf. RMI, RMCAS, RMR, MIS et PEQ, etc.) ouvrent dans le système de sécurité sociale un nouvel espace intermédiaire entre le régime de l’assurance et celui de l’assistance classique.

C’est aussi un espace transitionnel puisque ces interventions sont en principe limitées dans le temps et s’apparentent à une étape dans la trajectoire d’insertion des individus. Cet espace se veut promotionnel en renforçant les compétences sociales et professionnelles et en favorisant le développement des liens sociaux. C’est un espace structuré régi par une volonté politique d’éviter par ce moyen l’apparition de fractures sociales. Mis en œuvre sur la base d’un principe de réciprocité en exigeant des bénéficiaires une contre-prestation, ces dispositifs novateurs sont toutefois constamment menacés d’être réduits à une action d’euphémisation, voire de pénalisation, ou d’astreinte au travail et de disciplinarisation (Workfare****). »

En France, les politiques d’insertion qui s’institutionnalisent dans les années 80 comprennent deux volets principaux : la lutte contre la pauvreté et l’accès à l’emploi.

La lutte contre la pauvreté, si elle comprend toujours une dimension prestataire s’apparentant aux anciennes politiques d’assistance, recherche aussi à garantir la dignité des personnes et l’effectivité de leurs droits.

Le dispositif d’aide à l’accès à l’emploi s’est progressivement enrichi de multiples formules d’accompagnement sans réussir à insérer véritablement dans des formes classiques d’emploi.

On a ainsi régulièrement reproché aux politiques d’insertion de poursuivre des objectifs inconciliables et d’écarter finalement leurs bénéficiaires des formes de sociabilité de droit commun. La mise en place du revenu de solidarité active (RSA) en 2009 se veut une réponse pour tenter de concilier les deux volets des politiques d’insertion.*****

**E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 2007

***R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, Paris, 1995, pp. 418-435

****Le Workfare est apparu aux États-Unis dans les années 1970, qui prévoit que les bénéficiaires aptes au travail doivent travailler en échange de leur allocation.

Solidarité et solidarité nationale

La solidarité

Dans De la division du travail social (1893), Emile Durkheim utilise la notion de solidarité sociale. Il s’agit du lien moral qui unit les individus d’un même groupe, et qui forme le ciment de la cohésion sociale : pour qu’une société existe, il faut que ses membres éprouvent de la solidarité les uns envers les autres. C’est aussi en examinant les changements dans la forme de ce lien que Durkheim entend expliquer l’évolution des sociétés humaines.

La solidarité mécanique selon Emile Durkheim

Les sociétés traditionnelles se caractérisent, selon lui, par une solidarité sociale dite mécanique. Dans cet univers, les sentiments collectifs sont très forts et clairement définis, suscitant des émotions vives : tout imprégnés d’interdits religieux, les sentiments domestiques, par exemple, sont très réglementés et partagés unanimement par les individus.

La conscience collective, c’est-à-dire l’ensemble des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société’, est fortement présente à chacun. En conséquence, tout crime, c’est-à-dire tout acte qui vient la heurter en froissant les états forts et définis, suscite mécaniquement une réaction énergique et collective, car alors l’infraction soulève chez tous ceux qui sont témoins, ou en savent l’existence, une même et intense indignation.

La peine consiste alors dans une douleur, ou tout au moins une diminution infligée à l’agent, elle a pour objet de l’atteindre dans son honneur, sa fortune, sa vie (par exemple sous l’Ancien Régime, une mutilation en place publique) ou sa liberté, et ne se contente pas d’une simple remise des choses en l’état. Elle a bien souvent un caractère expiatoire.

La solidarité organique selon Emile Durkheim

A contrario, le droit restitutif n’exige pas forcément une souffrance de l’agent, mais consiste dans la remise des choses en l’état, dans le rétablissement sous leur forme normale des rapports qui ont été troublés. Tandis que le droit répressif se trouve diffus partout dans la société, le droit restitutif se crée des organes spéciaux (tribunaux, conseils de prud’hommes, etc.). Dans ce cas, les règles que déterminent les sanctions restitutives n’atteignent pas tout le monde, mais concernent des parties restreintes de la société qu’elles relient entre elles (le paiement de dommages et intérêts par exemple).

Ce type de droit révèle une autre forme de lien social dans lequel les individus sont solidaires grâce à un système de fonctions différentes et spéciales qu’unissent des rapports définis, et notamment la division du travail. Caractéristique des sociétés modernes, cette solidarité est dite organique’ parce que l’individu dépend d’autant plus étroitement de la société que les tâches sont divisées.

Durkheim note que dans une même ville les professions différentes peuvent coexister sans être obligées de se nuire réciproquement, car elles poursuivent des objectifs différents ; au contraire, il est inévitable que des organes similaires s’atteignent, entrent en lutte et s’efforcent de se substituer les uns aux autres. La division du travail est donc un dénouement adouci de la lutte pour la vie. En ce sens, c’est une loi de l’histoire que la solidarité mécanique perde progressivement du terrain au profit de la solidarité organique.

La solidarité nationale

L’engagement de l’État en matière de solidarité remonte essentiellement au lendemain de la crise économique des années 1930 et de la Seconde guerre mondiale. Il prend la forme de l’État-providence : l’intervention de l’État dans la vie économique et sociale apparaît nécessaire afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités et d’assurer la cohésion nationale.

Cette prise de conscience est inscrite dans le préambule de la Constitution française de 1946 (repris par celle de 1958), qui garantit le droit au travail, la protection de la santé, l’accès à l’instruction, la sécurité matérielle

Concrètement, elle est à l’origine de la création de plusieurs institutions de protection sanitaire et sociale, reposant sur des systèmes d’assurance obligatoire organisés par l’État : la sécurité sociale est créée dès 1945; c’est également dans les années d’après-guerre qu’est mise en place l’assurance-chômage. La solidarité nationale est notamment financée par l’impôt sur le revenu, qui repose sur une redistribution des richesses, chaque citoyen y contribuant en fonction de ses moyens.

À partir des années 1970, avec le début de la crise économique et la montée du chômage, face à l’aggravation de la pauvreté et de l’exclusion, de nouveaux dispositifs de solidarité sont mis en place, tels que le revenu minimum d’insertion (RMI), en 1988, ou encore, en 2000, la couverture maladie universelle (CMU), destinée à assurer l’accès aux soins des personnes défavorisées en étendant à tous les prestations de la sécurité sociale.

Les initiatives de solidarité privées augmentent, [aussi grâce à] un grand nombre d’associations.

Fraternité

La fraternité est le lien fraternel et naturel ainsi que le sentiment de solidarité et d’amitié qui unissent ou devraient unir les membres de la même famille que représente l’espèce humaine.

Elle implique la tolérance et le respect mutuel des différences, contribuant ainsi à la paix.

Elle constitue l’une des trois composantes de la devise de la République française : Liberté, égalité, fraternité. Mais aussi une valeur de l’humanité, comme en dispose l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

La fraternité se distingue de la solidarité par la dimension affective de la relation humaine liée au sentiment d’appartenance à la même espèce, l’humanité, ce qui lui donne un caractère plus universel.

Lire la définition de la fraternité sur le site toupie.org

Assistance et disqualification sociale

Dans une introduction intitulée Naissance d’une sociologie de la pauvreté de l’ouvrage Les Pauvres de Georg Simmel, Serge Paugam et Franz Schultheis montrent l’intérêt des travaux de Georg Simmel qui constituent un « cadre analytique pour penser en termes sociologiques la question de la pauvreté dans les sociétés modernes ».

Édité pour la première fois en langue française en 1998, soit quatre-vingt-dix ans après sa première publication allemande (en 1907), cet ouvrage est source de nombreux travaux sur la pauvreté, en particulier sur le processus de disqualification sociale mis en évidence par les travaux de S. Paugam.

Trois caractéristiques de l'assistance sociale selon Georg Simmel

L’assistance, selon G. Simmel, ne vise qu’une frange de la population constituée d’individus isolés, contrairement par exemple à l’assurance sociale obligatoire qui couvre l’ensemble des risques encourus par les salariés et leur famille.

Elle s’attache davantage à satisfaire le donateur que le receveur et est octroyée par la société dans son ensemble dans l’intérêt de la collectivité avant tout. G. Simmel s’appuie sur l’exemple de la famille et des syndicats pour se faire bien comprendre :

Même dans une famille, de nombreux gestes d’assistance sont commis non pas pour le bienfait du receveur lui-même, mais pour que la famille ne soit pas gênée et sa réputation souillée à cause de la pauvreté d’un de ses membres.

L’aide fournie par les syndicats britanniques à leurs membres sans emploi a pour but non d’alléger la situation personnelle du receveur, mais d’empêcher que les chômeurs, par besoin, aillent travailler ailleurs pour peu d’argent, ce qui engendrerait des salaires plus bas dans le secteur entier.

Pour une nation, l’assistance permet de réhabiliter leur activité économique, de les rendre plus productifs, de préserver leur énergie physique, de réduire le risque de dégénérescence de leur progéniture et enfin d’empêcher leurs impulsions de les conduire à l’usage de moyens violents dans le but de s’enrichir.

L’assistance est aussi conservatrice pour G. Simmel puisqu’elle se fonde sur la structure sociale quelle qu’elle soit. Le but est de mitiger certaines manifestations extrêmes de différenciation sociale, afin que la structure sociale puisse continuer à se fonder sur cette différenciation.

G. Simmel considère aussi que le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie des pauvres. Il peut être un commerçant, un artiste, ou un employé pauvre, mais il demeure dans la catégorie (commerçant, artiste ou employé) définie comme une activité ou une position spécifique.

Et surtout ce n’est qu’à partir du moment où ils sont assistés qu’ils deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne demeure pas uni par l’interaction de ses membres, mais par l’attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à son égard.

Le sens de la pauvreté est ainsi celui que lui donne la société à travers la notion d’assistance. Les pauvres, en tant que catégorie sociale, ne sont pas ceux qui souffrent de manques et de privations spécifiques, mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir selon les normes sociales. Pour G. Simmel, les pauvres appartiennent à la société grâce à l’organisation de l’assistance par cette société.

Le droit à l’assistance peut être restreint par la société et l’État car ce droit s’exerce dans les limites jugées compatibles avec les ressources de l’économie et les autres orientations politiques.

G. Simmel précise aussi que l’assistance s’intéresse au fait que les pauvres ne reçoivent pas trop peu, mais aussi qu’ils ne reçoivent pas trop.

Serge Paugam et la disqualification sociale des assistés

Le concept de disqualification sociale renvoie au processus d’affaiblissement ou de rupture des liens de l’individu à la société au sens de la perte de la protection et de la reconnaissance sociales.

Ce concept a été essentiellement utilisé dans les recherches sur le chômage et la pauvreté. Il correspond alors au processus de refoulement hors du marché de l’emploi de franges nombreuses de la population et aux expériences vécues de la relation d’assistance qui en accompagnent les différentes phases.

S. Paugam, dans son introduction de 2009 à la huitième édition de son ouvrage de 1991 sur la Disqualification sociale, Essai sur la nouvelle pauvreté, précise notamment les quatre dimensions de la notion de disqualification sociale et qu’elles lient pauvres au chômage et salariés précaires (La disqualification sociale, Serge Paugam).

Ces individus sont dans une position socialement dévalorisée, susceptible d’entraîner une forte stigmatisation. Ainsi pour les pauvres, le fait d’être contraint de solliciter les services d’action sociale pour obtenir de quoi vivre altère souvent leur identité préalable. Ils éprouvent le sentiment d’être à la charge de la collectivité.

Quant aux salariés précaires, la disqualification sociale commence à partir du moment où ils sont maintenus contre leur gré, dans une situation qui les prive de tout ou partie de la dignité que l’on accorde généralement à ceux qui contribuent par leurs efforts à l’activité productive nécessaire au bien-être de la collectivité : un moyen d’expression de soi, un revenu décent, une activité reconnue, une sécurité.

La seconde dimension met l’accent sur l’idée de processus, qui suggère que la situation des individus évolue. Les pauvres ne forment pas une strate homogène et entretiennent plusieurs types de relation aux services d’action sociale distinguées en fonction du type de difficultés rencontrées par les individus.

L’approche de l’ouvrage de S. Paugam a permis d’étudier la transformation des expériences vécues et de passer ainsi de l’analyse des types de relation à l’assistance à l’analyse des conditions du passage d’une phase à l’autre de ce processus. S. Paugam distingue aussi, pour les salariés, des phases distinctes du processus de disqualification sociale.

La précarité professionnelle correspond à un mode de régulation qui a sa logique propre.

L’assistance a une fonction de régulation du système social. Si les pauvres par le fait d’être assistés, ne peuvent avoir qu’un statut social défavorisé qui les disqualifie, ils restent malgré tout pleinement membres de la société dont ils constituent pour ainsi dire la dernière strate.

De même, les salariés précaires ne sont pas en dehors du système social. Ils contribuent même directement à sa régulation. La précarité du travail et de l’emploi est à la fois la conséquence de la flexibilité des entreprises, des transformations des méthodes de production, et le prix que les pouvoirs publics sont parfois prêts à payer pour faire baisser le chômage.

Autrement dit, pour s’adapter à la concurrence internationale et faire baisser le chômage, un consensus implicite a été trouvé pour exposer une partie des salariés à la précarité, ce qui a permis aux autres de continuer à bénéficier de tous les avantages attachés au travail valorisant et à la stabilité de l’emploi.

La quatrième dimension commune met l’accent sur les réactions face à la souffrance quotidienne. Il existe des formes spécifiques de rationalisation de la précarité : de nombreux exemples étudiés confirment que les salariés précaires tout comme les assistés ont leur propre jeu, même si ce jeu ne permet pas, dans la plupart des cas, de retourner à leur avantage les conditions sociales objectives de leur intégration professionnelle.

S. Paugam analyse ainsi les réactions des pauvres face à l’assistance sociale : la fragilité correspond à l’épreuve du déclassement social ou des difficultés d’insertion professionnelle. Les personnes qui font cette expérience ne souhaitent pas être considérées comme des assistés.

Elles multiplient les démarches pour accéder à un meilleur statut social. La fragilité peut conduire à la phase de dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux parce que la précarité professionnelle, en particulier lorsqu’elle est durable, entraîne une diminution de revenu et une dégradation des conditions de vie qui peuvent être en partie compensées par les aides de l’assistance.

La dépendance est, en effet, la phase de prise en charge régulière des difficultés par les services d’action sociale. La plupart des personnes qu’elle concerne ont renoncé à exercer un emploi. À cette phase peut aussi succéder une autre caractérisée par la rupture du lien social, en particulier lorsque les aides cessent et que les personnes qui en font l’expérience sont confrontées à un cumul de handicaps.

Elles peuvent sortir du filet ultime de la protection sociale et connaître ensuite des situations de plus en plus marginales où la misère est synonyme de désocialisation. L’enchaînement de ces trois phases n’est pas pour autant systématique mais il contribue fortement à accroître le risque de dualisation de la société.

L'assistance selon l'ONPES

L’ONPES a produit en 2013 un rapport portant sur l’assistance.

Pour Jérôme Vignon, lors de sa présentation de ce rapport, le 16 mars 2013 [8], il s’agit de contribuer à penser autrement l’assistance en s’appuyant sur quatre points :

  • Il ne faut pas avoir honte de l’assistance. Issue de la Révolution française, la Convention a proclamé en 1793 que les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux malheureux, soit en leur assurant un travail, soit en donnant des moyens d’exister à ceux qui ne sont pas en état de travailler. Il y a ici un lien entre l’universel et la fonction sociale d’assistance. Surtout ce lien est réciproque car les textes républicains ajoutaient : si celui qui existe à le droit de dire à la société fais-moi vivre, la société a le droit également lui dire donne-moi ton travail.
  • De ce lien social réciproque s’est dégagée une conception juridique forte et claire matérialisant des droits et des responsabilités des personnes pauvres. La tendance la plus récente de la jurisprudence est d’insister sur l’accès effectif aux droits et donc sur des obligations de résultats pour les pouvoirs publics. En France, l’objectif de l’assistance étant la restauration des capacités citoyennes des personnes, les obligations qui pèsent sur elles ne peuvent être disproportionnées et aggraver leurs difficultés.
  • Cette tradition citoyenne et cette conception humaniste de l’assistance doivent composer avec une société française qui est de tempérament à la fois solidariste et soupçonneux. Si une partie des personnes pauvres reconnaissent la valeur de l’aide et de l’accompagnement social dont elles sont l’objet, pour une majorité de personnes attributaires des aides de l’assistance, il s’agit là d’une honte, d’une souffrance que l’on doit s’efforcer de cacher notamment dans le monde du travail, car elle attire le soupçon de l’abus et du désengagement, en sorte que nombreuses sont celles qui tentent aussi longtemps que possible d’éviter d’y recourir.
  • Les abus, même s’ils existent, ne représentent pas une masse considérable de dépense pour l’assistance. En revanche le non recours délibéré épargne des milliards à l’État et aux collectivités locales.

Les personnes d’âge actif aidées par le RSA ne sont pas enkystées dans l’inactivité. Les flux d’entrée et de sortie sont intenses. Cependant la réalité de ces flux souligne combien notre marché du travail peut condamner durablement les personnes pauvres, bénéficiaires ou non du RSA à osciller entre l’inactivité, le chômage ou l’emploi précaire, créant de ce fait un cercle vicieux de l’exclusion.

Les personnes d’âge actif et pauvre ne refusent pas de travailler. C’est le marché du travail qui explique pour l’essentiel les variations de ces chiffres et non pas les choix des personnes elles-mêmes. 

Le rapport de l’ONPES illustre les arguments ci-dessus. Ainsi il est possible de prendre un exemple, celui, présenté dans un tableau, sur le non-recours au RSA en 2011

Le rapport commente ce tableau et le non-recours en général : ce dernier concerne deux tiers des allocataires potentiels du RSA activité. Cela peut s’expliquer en partie par le fait qu’il s’agit d’une prestation nouvelle.

Mais il ne se limite pas au RSA, même s’il est particulièrement important pour cette prestation. [De même,] en 2011, 68 % des ménages éligibles aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité n’ont pas fait valoir leurs droits, et il en était de même pour 53 à 67 % des personnes éligibles à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS).

En ce qui concerne les aides facultatives, délivrées localement aux allocataires de minima sociaux, les taux de non-recours semblent également très élevés. Les études de l’Observatoire des non-recours aux droits et aux services montrent que le taux de non-recourants est toujours supérieur à 10 %.

Enfin, il est important de souligner le caractère central de la qualité du travail social, ce travail d’accueil, de pédagogie, d’accompagnement et d’écoute qui est accompli par les professionnels et les bénévoles qui disposent des moyens de l’assistance.

Bibliographie :

  • Georg Simmel, Les pauvres, collection Quadrige grands textes, Presses universitaires de France, édité en Français en 1998 avec une introduction de Serge Paugam et Franz Schultheis.
  • Extrait du site des PUF, dictionnaire des sciences humaines disqualification sociale
  • Serge Paugam, La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presses Universitaires de France, 1991.
  • Serge Paugam, La disqualification sociale, incluant une préface à la 8ème édition intitulée Préface à la nouvelle éditionLa disqualification sociale vingt ans après, PUF, 2009.
  • L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), créé par la loi d’orientation n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, a pour mission de superviser des études confiées à divers organismes et de fournir chaque année un rapport au gouvernement sur les évolutions de la pauvreté en France.
  • ONPES, rapport thématique 2013 Penser l’assistance
  • Jérôme Vignon est depuis 2010 président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et de l’Observatoire national de la précarité énergétique depuis sa création en 2011.
  • Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 - Article 21
  • Premier rapport du Comité de mendicité, in S. Paugam, La dialectique de l’assistance, Connexions, n° 62, 1993, pp. 11-34
  • Pour plus d’informations, il est possible aussi de se reporter au rapport Droit et Pauvreté, Contributions issues du séminaire ONPES - DREES-MiRe de 2007, Coordonné par Patrick Du Cheyron et Didier Gélot
  • Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale – ONPES et Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques - Mission Recherche - DREES - MiRe.