Les équipes mobiles psychiatrie précarité : aller vers les publics les plus vulnérables

Publié le | Temps de lecture : 8 minutes

Une proportion significative des personnes en situation de précarité et en particulier en grande précarité est confrontée à des troubles psychiques ou à des problèmes d’addiction, souvent accompagnés par un profond sentiment d’abandon et d’isolement. La précarité, et plus encore la vie à la rue, accentue ces vulnérabilités, créant un cercle vicieux. Pour aider ces publics éloignés des systèmes de soins, des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) sont déployées sur le territoire.

Santé mentale et précarité : chiffres clés

  • 30 %

    des personnes accueillies en structure d’hébergement pour personnes en situation précaire sont atteintes de troubles psychiatriques ou en réelle souffrance psychique 

  • 1 personne sur 5

    qui déclare une situation financière difficile présente un syndrome dépressif, contre 6 % parmi les personnes sans difficultés 

  • 3 fois plus de risque

    pour les personnes en situation de précarité de faire une tentative de suicide par rapport aux personnes aisées. 

Source : Rapport du ministère de la Santé - Santé mentale et psychiatrique – 2023 ; Santé mentale : un état des lieux au regard de la situation financière, de l’orientation sexuelle et des discriminations subies | Drees ; Rapport du ministère de la Santé - Santé mentale et psychiatrique – 2023

Les publics précaires particulièrement vulnérables aux troubles de santé mentale

Les personnes en situation de pauvreté sont fortement exposées aux troubles de santé mentale en raison d’un ensemble de facteurs sociaux, économiques et environnementaux qui se cumulent et se renforcent mutuellement : 

  • Des conditions de vie défavorables 
    Les déterminants sociaux ont un impact sur la santé mentale. Des conditions de logement précaires, une alimentation déséquilibrée ou insuffisante, le manque de sommeil ainsi qu’une exposition accrue aux risques professionnels et environnementaux dégradent la santé physique mais aussi mentale des personnes en situation de précarité. Selon une étude de la Drees de juin 2025, les difficultés financières sont fortement liées à l’apparition de syndromes dépressifs.
  • L’isolement social et le manque de soutien
    La précarité s’accompagne fréquemment d’un isolement social, d’une rupture des liens familiaux ou amicaux, et d’un faible soutien émotionnel. Or, le manque de relations sociales est un facteur de risque majeur pour la dépression, l’anxiété ou d’autres troubles psychiques.
  • Des difficultés d’accès aux soins
    Ces personnes rencontrent souvent des obstacles importants pour accéder aux services de santé : barrières psychologiques, culturelles, linguistiques, financières et d’accessibilité. Ces freins entraînent des parcours de soins fragmentés, voire un renoncement à se faire soigner, aggravant ainsi les troubles existants.
  • Une spirale entre précarité, errance et troubles psychiques
    Il existe une corrélation entre pauvreté, troubles mentaux et errance : les maladies psychiques peuvent conduire à une situation de grande précarité, tandis que l’errance tend à intensifier les troubles existants. 

C’est pourquoi les personnes en situation de précarité nécessitent un accompagnement médico-psycho-social adapté qui peut reposer notamment sur une démarche « d’aller-vers ». Cette approche vise à aller à la rencontre de personnes qui ne formulent aucune demande ou ne s’adressent pas aux dispositifs adaptés. Elle permet de proposer des soins directement sur leurs lieux de vie, et d’assurer une coordination étroite entre les professionnels de santé, du médico-social et du social.

Restaurer le lien : l’engagement des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)  

Les EMPP sont des équipes spécialisées pluridisciplinaires qui interviennent auprès des publics en grande précarité. Elles ont été généralisées sur le territoire par la circulaire du 23 novembre 2005 relative à la prise en charge des besoins en santé mentale des personnes en situation de précarité et d’exclusion et à la mise en œuvre d’équipes mobiles spécialisées en psychiatrie. Elles sont désormais encadrées par un cahier des charges, partagé dans le cadre de l’instruction du 6 juin 2024 relative à la mise en œuvre d’une coordination régionale des EMPP.

Les équipes mobiles psychiatrie précarité ont deux missions principales :

  • intervenir auprès des publics en situation de grande précarité et d’exclusion présentant des troubles psychiques, afin de créer ou rétablir un lien social, d’évaluer leur état de santé, de les orienter et de leur permettre un accès aux premiers soins ;
  • intervenir auprès des acteurs de première ligne qui sont amenés à rencontrer, à accompagner et à prendre en charge ces publics. 

Elles peuvent pour cela :

  • effectuer des permanences dans des lieux sociaux et médico-sociaux repérés et fréquentés par les personnes en difficulté (centres d'hébergement et de réinsertion sociale, structures LAM - lits d'accueil médicalisé - ou LHSS - lits halte soins santé, etc.) ;
  • participer à des interventions mobiles ou dans la rue (par des maraudes par exemple) ;
  • réaliser des actions de sensibilisation, des analyses de pratiques ;
  • intervenir au domicile de la personne en cas de besoin. 

Les EMPP s’appuient sur l’expérience de professionnels pluridisciplinaires. L’équipe socle est composée a minima de psychiatres, d’infirmiers, de psychologues et d’un secrétariat – mais d’autres professionnels peuvent être mobilisés comme des éducateurs, des interprètes ou encore des médiateurs de santé. Elles font le relais vers d’autres structures du territoire (notamment les permanences d’accès aux soins de santé ou PASS).

En 2023, 168 EMPP étaient réparties sur l’ensemble du territoire, permettant ainsi l’accompagnement de plus de 42 000 personnes

Découvrez l’équipe mobile psychiatrie précarité du groupe hospitalier universitaire (GHU) de Paris. 

Dans une rue de Paris, deux professionnels de l'équipe mobile psychiatrie précarité du GHU de Paris s'approche d'une personne assise sur un banc.
- « Vous aviez disparu un moment donné ? 
- Oh ben ma vie, elle est très compliquée. »

Dr Thomas Mauras, psychiatre en équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) du GHU Paris, service santé mentale exclusion sociale : « Les équipes mobile psychiatrie précarité, ce sont des équipes dédiées aux gens qui ont des pathologies psychiatriques et qui sont en situation de précarité. C'est un dispositif national, départemental, donc il y en normalement un par département. Ce sont des équipes pluriprofessionnelles. Je suis médecin, mais j'ai des collègues éducateurs, infirmiers, psychologues. On a des modalités d'approche qui sont différentes. »

Dans un rue, l'équipe mobile s'approche de l'abri d'une personne en rue : « Modibo ! Modibo ! »

Jean-Michel Perret-Blanc, éducateur spécialisé en équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) du GHU Paris, service santé mentale exclusion sociale : « Modibo, c'est une personne qui m'a été signalée il y a 3 semaines/1 mois, que j'ai vue par deux fois, donc plutôt profil Diogène, avec des troubles genre schizophrénie. »

Dr Thomas Mauras : « On estime selon les études, qu'à peu près un tiers de gens qui sont en situation de précarité présentent des troubles psychiatriques importants. On entend par là des troubles dépressifs sévères, des psychoses comme la schizophrénie. La situation de rue, c'est un facteur de risque pour développer des pathologies mentales mais ce n'est pas causal. Souvent, les gens ont des difficultés avant et se retrouvent à la rue. On a de bonnes chances de penser que si leur état mental s'améliore, on peut imaginer qu'ils aient le choix de faire autre chose que d'être en rue. »

Isabelle Dragon, infirmière en équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) du GHU Paris, service santé mentale exclusion sociale s'adresse à une personne en situation de rue : « Vous n'avez jamais vu de docteur pour une histoire de consommation d'alcool, de crack ? Ou pour les pensées qui sont trop présentes dans la tête ? Donc rendez-vous le jeudi au local avec Martin qui est travailleur social, et moi qui suis infirmière. »
« L'idée, c'est d'aller vers les personnes en rue ou en situation de grande précarité qui pourraient avoir besoin d'accéder à des soins. C'est pour ça qu'on travaille beaucoup avec les équipes sociale de première ligne, c'est-à-dire les équipes de maraudes qui vont en rue, les équipes de centres d'hébergement d'urgence qui accueillent les personnes qui sortent de la rue pour être installées en hébergement. »

Images du local de la maraude Ouest de Paris, association Aurore.

Martin Larramendy, éducateur spécialisé : « On va percevoir deux-trois points qui nous font penser qu'il peut y avoir une problématique psy, ce qui fait qu'on échange avec le service santé mentale exclusion social (SMES) par la suite. »

Images du centre d'hébergement d'urgence La promesse de l'aube, association Aurore

Isabelle Dragon : « Cet après-midi, on se retrouve avec l'équipe du centre d'hébergement La promesse sur vos locaux pour faire un peu le point sur les situations en cours. Sélim, il a un rendez-vous la semaine prochaine en intra pour son injection. Il est sous traitement retard. La question : est-ce qu'il va s'y présenter de lui-même ? »
« C'est pas si simple de faire accéder aux soins psychiatrique les personnes en grande précarité parce que, pour certaines, elles ne sont pas du tout dans cette demande, voir elles sont dans le déni des troubles qui peuvent être manifestés. »

Jean-Michel Perret-Blanc : « Il ne faut pas se dire "Je vais sortir quelqu'un de la rue, je vais le faire accéder aux soins, quelqu'un qui a été sans soins psychiatriques pendant X années, 10, 20, 30 ans, qui n'avait pas de demande particulière." Alors peut-être qu'on arrivera jamais,  mais peut-être qu'à un moment donné, il va répondre à une proposition.  »
 « Là, on va voir un monsieur qui est sans papiers, qui n'a pas véritablement de demande, et dès qu'il sort de l'hôpital, il revient ici. Donc il fait hôpital-rue, rue-hôpital, hôpital-rue, rue-hôpital. »

Jean-Michel Perret-Blanc s'adresse à la personne en situation de rue : « Je ne suis venu te voir parce que t'as rendez-vous. Je ne sais pas si tu te rappelles. T'as rendez-vous avec le médecin et puis pour l'injection jeudi. Non, non, c'est moi qui vais t'amener chez le docteur.  »
« Pour se mobiliser, ils ont aussi besoin d'être accompagnés, d'être tenus par la main, parce que sinon, clairement, ils y vont pas d'eux-mêmes. La priorité, pour eux, c'est la survie à la rue. Le reste, ça ne vient qu'après. »

Dr Thomas Mauras : « Il y a des histoires très tristes, parce que malheureusement on meurt beaucoup en rue. L'espérance de vie est beaucoup plus faible, autour de 55 ans. La précarité, même si on n'est pas en rue, est aussi un facteur d'espérance de vie diminuée. Mais on a aussi de très belles histoires. Il faut que chacun joue sa partition. C'est un travail difficile, mais qui est vraiment payant pour la dignité de tous. »

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En 2020, les EMPP ont bénéficié de 10 millions d’euros supplémentaires du Ségur de la santé pour étoffer les équipes et créer de nouvelles unités dans les départements encore non couverts. 

 

Entre 2024 et 2025, 7,4 millions d’euros supplémentaires ont été délégués pour poursuivre ce renforcement des équipes et mettre en place une coordination dans l’ensemble des régions.

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